Un orchestre soutient l’Ukraine et rĂ©unit un couple sĂ©parĂ© par la guerre

đŸŽ¶ 2022-08-14 21:34:20 – Paris/France.

VARSOVIE – AprĂšs des annĂ©es de lutte pour gagner leur vie en tant que musiciens en Ukraine, Yevgen Dovbysh et Anna Vikhrova ont estimĂ© qu’ils avaient enfin construit une vie stable. Ils Ă©taient mari et femme artistes de la Philharmonie d’Odessa – il joue du violoncelle, elle du violon – partageant un amour pour les partitas de Bach et la musique de « Star Wars ». Ils vivaient dans un appartement au bord de la mer Noire avec leur fille de 8 ans, Daryna.

Puis la Russie a envahi l’Ukraine en fĂ©vrier. Vikhrova s’est enfuie pour la RĂ©publique tchĂšque avec sa fille et sa mĂšre, apportant quelques centaines de dollars d’économies, des vĂȘtements et son violon. Dovbysh, 39 ans, qui n’a pas Ă©tĂ© autorisĂ© Ă  partir parce qu’il est en Ăąge de servir, est restĂ© sur place et a participĂ© aux efforts de dĂ©fense de la ville, ramassant du sable sur les plages pour renforcer les barriĂšres et protĂ©ger les monuments et diffusant de la musique ukrainienne sur des vidĂ©os honorant les soldats du pays.

« Nous avons passé chaque jour ensemble », a déclaré Vikhrova, 38 ans. « Nous avons tout fait ensemble. Et soudain, notre belle vie nous a été enlevée.

Dovbysh a obtenu l’autorisation spĂ©ciale de quitter le pays le mois dernier pour rejoindre l’Ukrainian Freedom Orchestra, un nouvel ensemble de 74 musiciens qui se rĂ©unissait Ă  Varsovie, premiĂšre Ă©tape d’une tournĂ©e internationale visant Ă  promouvoir la culture ukrainienne et Ă  dĂ©noncer l’invasion russe. Muni de son violoncelle et portant une petite croix dorĂ©e autour du cou, il embarqua dans un bus pour la Pologne, impatient de jouer pour la cause, et aussi de retrouver un autre membre de l’ensemble naissant : sa femme.

« J’aime tellement mon pays », a-t-il dĂ©clarĂ© alors que le bus passait devant des Ă©tangs, des Ă©glises et des champs de framboises Ă  Hrebenne, un village polonais prĂšs de la frontiĂšre avec l’Ukraine. « Je n’ai pas d’arme, mais j’ai mon violoncelle. »

Lorsque son bus est arrivĂ© Ă  Varsovie, il s’est prĂ©cipitĂ© pour rencontrer Vikhrova. Il frappa Ă  la porte de sa chambre d’hĂŽtel, attendit nerveusement, puis l’embrassa lorsqu’elle ouvrit. Elle l’a taquinĂ© au sujet de sa dĂ©cision de porter des shorts pour le voyage de 768 milles, malgrĂ© le temps frais, hĂ©ritage de son Ă©ducation dans la douce Odessa. Elle lui a offert une figurine d’une crĂ©ature « Star Wars », Baby Yoda, un cadeau d’anniversaire tardif.

« Je suis tellement heureux », a-t-il déclaré. « Enfin, nous sommes à nouveau presque comme une famille. »

Le lendemain matin, ils ont pris leurs chaises dans le nouvel orchestre ukrainien de la libertĂ©, dirigĂ© par la chef d’orchestre ukrainienne canadienne Keri-Lynn Wilson, pour se prĂ©parer Ă  une tournĂ©e de 12 villes pour rallier le soutien Ă  l’Ukraine. À partir d’ici Ă  Varsovie, la tournĂ©e s’est poursuivie Ă  Londres, Édimbourg, Amsterdam, Berlin et d’autres villes, et se rendra aux États-Unis cette semaine pour jouer au Lincoln Center les 18 et 19 aoĂ»t et au Kennedy Center Ă  Washington le aoĂ»t 20.

La tournĂ©e a Ă©tĂ© organisĂ©e avec le soutien du gouvernement ukrainien. Volodymyr Zelensky, le prĂ©sident de l’Ukraine, a dĂ©clarĂ© dans une rĂ©cente dĂ©claration cĂ©lĂ©brant la fondation de l’orchestre que la « rĂ©sistance artistique » Ă  la Russie Ă©tait primordiale. L’orchestre bĂ©nĂ©ficie Ă©galement du soutien de personnalitĂ©s influentes de l’industrie musicale. Le mari de Wilson, Peter Gelb, qui dirige le Metropolitan Opera de New York, a jouĂ© un rĂŽle essentiel en aidant Ă  organiser les engagements et les bienfaiteurs, et le Met a aidĂ© Ă  organiser la tournĂ©e. Waldemar Dabrowski, le directeur du ThĂ©Ăątre Wielki, l’opĂ©ra de Varsovie, a fourni un espace de rĂ©pĂ©tition et a aidĂ© Ă  obtenir le soutien financier du gouvernement polonais.


CULTURE, DÉPLACÉE Une sĂ©rie explorant la vie et le travail d’artistes chassĂ©s de leur pays d’origine au milieu de la crise mondiale croissante des rĂ©fugiĂ©s.


Lors de la premiĂšre rĂ©pĂ©tition, les musiciens sont entrĂ©s dans le thĂ©Ăątre Wielki avec des sacs bleus et jaunes ; Ă©tuis Ă  instruments couverts de signes de paix et de cƓurs ; et des volumes en lambeaux de poĂšmes et d’hymnes ukrainiens.

Alors que les musiciens commençaient Ă  s’échauffer Ă  la rĂ©pĂ©tition, Wilson a pris sa place sur le podium, a croisĂ© les yeux des musiciens et a parlĂ© de la nĂ©cessitĂ© de tenir tĂȘte Ă  Moscou.

« Pour l’Ukraine ! » dit-elle en lançant son poing en l’air. Ensuite, l’orchestre a commencĂ© Ă  jouer Dvorak.

Les musiciens étaient arrivés pour la plupart étrangers les uns aux autres. Mais lentement, ils se sont rapprochés, partageant des histoires de quartiers pilonnés par des bombes, tandis que les réfugiés parmi eux racontaient leurs longs et tendus voyages à travers des frontiÚres surpeuplées cet hiver.

Parmi les violons se trouvait Iryna Solovei, membre de l’orchestre du ThĂ©Ăątre acadĂ©mique d’opĂ©ra et de ballet de Kharkiv, qui s’est enfuie pour Varsovie au dĂ©but de l’invasion avec sa fille de 14 ans. Depuis mars, ils font partie des plus de 30 rĂ©fugiĂ©s ukrainiens vivant Ă  l’intĂ©rieur du thĂ©Ăątre Wielki, dans des bureaux transformĂ©s en dortoirs.

En mars, Solovei a observĂ© de loin sa maison Ă  Kharkiv dĂ©truite par des missiles russes. Elle a partagĂ© des photos de son salon carbonisĂ© avec ses collĂšgues joueurs, leur disant Ă  quel point l’Ukraine lui manquait et s’inquiĂ©tait pour son mari, qui joue toujours avec l’ensemble de Kharkiv.

« Tout le monde a été blessé », a-t-elle déclaré. « Certaines personnes ont été blessées physiquement. Certaines personnes ont perdu leur emploi. Certaines personnes ont perdu leur maison.

Elle s’est souvenue de ses jours en tant que musicienne d’orchestre en Ukraine et des liens profonds qu’elle a ressentis avec le public lĂ -bas. Pour faire face au traumatisme de la guerre, elle se promĂšne dans un parc de Varsovie, oĂč un guitariste ukrainien joue des chansons folkloriques au coucher du soleil.

« La guerre est comme un rĂȘve horrible », a-t-elle ajoutĂ©. « Nous pouvons l’oublier un instant, mais nous ne pouvons jamais y Ă©chapper. »

Au fond de l’orchestre, dans la section des percussions, se tenait Yevhen Ulianov, un membre de l’Orchestre symphonique national d’Ukraine ĂągĂ© de 33 ans.

Sa fille est nĂ©e le 24 fĂ©vrier, le premier jour de l’invasion. Il a racontĂ© Ă  ses collĂšgues joueurs comment lui et sa femme, une chanteuse, Ă©taient allĂ©s Ă  l’hĂŽpital de Kyiv quelques heures avant le dĂ©but de la guerre. Alors qu’elle commençait le travail, des sirĂšnes anti-aĂ©riennes ont retenti Ă  plusieurs reprises et, Ă  un moment donnĂ©, elles ont Ă©tĂ© transportĂ©es de la maternitĂ© au sous-sol de l’hĂŽpital.

« Je ne comprenais pas ce qui se passait », a-t-il dit. « Je ne pouvais que penser: » Comment allons-nous sortir d’ici vivants? «  »

Ulianov n’a pas jouĂ© pendant deux mois aprĂšs l’invasion, car les concerts Ă  Kyiv ont Ă©tĂ© annulĂ©s et les thĂ©Ăątres ailleurs ont Ă©tĂ© endommagĂ©s. L’orchestre a rĂ©duit son salaire d’un tiers en avril et il s’est appuyĂ© sur ses Ă©conomies pour payer ses factures. À l’intĂ©rieur de son appartement prĂšs du centre-ville, il s’est exercĂ© sur un vibraphone, se rĂ©fugiant dans un couloir lorsque des sirĂšnes anti-aĂ©riennes ont retenti.

« Nous ne savions pas quoi faire – devrions-nous rester ou devrions-nous partir? » il a dit. « Et si l’armĂ©e russe venait Ă  Kyiv ? Pourrions-nous un jour jouer Ă  nouveau ?

Avant le premier concert de l’orchestre, Ă  la fin du mois dernier Ă  Varsovie, Vikhrova et Dovbysh Ă©taient anxieux.

Ils avaient passĂ© plus d’une semaine Ă  rĂ©pĂ©ter le programme, qui comprenait des piĂšces de Brahms, Beethoven, Chopin et Valentin Silvestrov, le compositeur vivant le plus cĂ©lĂšbre d’Ukraine. Mais ils ne savaient pas comment le public pourrait rĂ©agir. Et ils Ă©taient aux prises avec leurs peurs de la guerre.

Vikhrova avait essayĂ© de construire une nouvelle vie en RĂ©publique tchĂšque avec leur fille, rejoignant un orchestre local. Mais elle s’inquiĂ©tait pour la sĂ©curitĂ© de son mari « chaque seconde, chaque minute, chaque heure », a-t-elle dit. Elle dormait prĂšs de son tĂ©lĂ©phone pour ĂȘtre rĂ©veillĂ©e par des avertissements concernant des raids aĂ©riens Ă  Odessa. Elle s’est inquiĂ©tĂ©e aprĂšs une attaque lĂ -bas avant PĂąques, lorsque son mari a vu des missiles russes dans le ciel mais n’a pas eu le temps de se mettre Ă  l’abri. Pour se changer les idĂ©es de la guerre, elle a jouĂ© du Bach et des chansons ukrainiennes traditionnelles.

Tenant la main de son mari dans les coulisses, Vikhrova a dĂ©clarĂ© qu’elle attendait avec impatience le jour oĂč ils pourraient retourner en Ukraine avec leur fille, qui sĂ©journait avec sa mĂšre en RĂ©publique tchĂšque pendant toute la durĂ©e de la tournĂ©e.

« J’ai l’impression de mener une double vie », dit-elle. « La moitiĂ© de moi est en Ukraine, et la moitiĂ© de moi est Ă  l’extĂ©rieur. »

Dovbysh s’est souvenu de la peur dans les yeux de sa fille lorsqu’elle et sa mĂšre ont quittĂ© Odessa en fĂ©vrier. Il se souvient d’avoir pris le temps d’expliquer la guerre et de lui avoir dit qu’elle serait en sĂ©curitĂ©. Il a promis qu’ils se reverraient bientĂŽt.

Lorsque la tournée se termine cette semaine et que son exemption militaire expire, il doit retourner à Odessa. On ne sait pas quand il pourra revoir sa famille.

« Chaque jour, dit-il, je rĂȘve du moment oĂč nous pourrons nous revoir. »

Alors que la guerre se prolonge, les musiciens ont parfois du mal Ă  rester concentrĂ©s. Ils passent une grande partie de leur temps libre Ă  vĂ©rifier sur leur tĂ©lĂ©phone des nouvelles d’attaques russes, Ă  envoyer des avertissements Ă  leurs proches.

Marko Komonko, 46 ​​ans, violon solo de l’orchestre, a dĂ©clarĂ© qu’il Ă©tait angoissant de regarder la guerre Ă  distance, comparant l’expĂ©rience Ă  un parent qui s’occupe d’un enfant malade. Il a fui l’Ukraine en mars pour la SuĂšde, oĂč il joue dĂ©sormais dans l’orchestre du Royal Opera House de Stockholm.

« Nous vivons avec un sentiment constant d’inquiĂ©tude », a-t-il dĂ©clarĂ©.

Pendant plus de deux mois aprĂšs l’invasion, dit-il, il n’a rien ressenti quand il a jouĂ© du violon. Puis, dĂ©but mai, il a commencĂ© Ă  ressentir un mĂ©lange de tristesse et d’espoir lorsqu’il a interprĂ©tĂ© une mĂ©lodie folklorique ukrainienne lors d’un concert Ă  Stockholm.

Pour certains, jouer dans l’orchestre a renforcĂ© le sentiment d’identitĂ© ukrainienne. Alisa Kuznetsova, 30 ans, Ă©tait en Russie lorsque la guerre a commencĂ© ; depuis 2019, elle travaillait comme violoniste dans l’Orchestre Mariinsky. Fin mars, elle a dĂ©missionnĂ© de l’orchestre en signe de protestation et a dĂ©mĂ©nagĂ© Ă  Tallinn, en Estonie, oĂč elle a commencĂ© Ă  jouer dans l’Orchestre symphonique national d’Estonie.

Lorsqu’elle a rejoint l’Ukrainian Freedom Orchestra, elle s’est d’abord sentie coupable, a-t-elle dit, craignant que les autres musiciens ne la voient comme une traĂźtresse Ă  cause de son travail en Russie. Mais elle a dit que ses collĂšgues l’avaient rassurĂ©e qu’elle Ă©tait la bienvenue.

« Pour mon Ăąme, pour mon cƓur », a-t-elle dĂ©clarĂ©, « cela a Ă©tĂ© vraiment important. »

Dans les capitales culturelles europĂ©ennes, l’orchestre a Ă©tĂ© accueilli par des ovations debout et des critiques positives de la part des critiques.

« Un spectacle Ă©mouvant de dĂ©fi ukrainien », a dĂ©clarĂ© une critique du Daily Telegraph Ă  propos de la performance de l’orchestre aux Proms, le festival de musique classique de la BBC. The Guardian a parlĂ© de « larmes et rugissements de joie » pour le nouvel ensemble.

Mais les musiciens disent que la mesure du succĂšs ne sera pas les critiques, mais leur capacitĂ© Ă  mettre en lumiĂšre l’Ukraine et Ă  mettre en valeur une identitĂ© culturelle que la Russie a tentĂ© d’effacer.

Nazarii Stets, 31 ans, contrebassiste de Kyiv, a redoublĂ© d’efforts pour constituer une bibliothĂšque numĂ©rique de partitions de compositeurs ukrainiens, afin que leur musique puisse ĂȘtre largement tĂ©lĂ©chargĂ©e et interprĂ©tĂ©e. Il joue dans le Kyiv Kamerata, un ensemble national consacrĂ© Ă  la musique ukrainienne contemporaine.

« Si nous ne nous battons pas pour la culture », a-t-il dit, « alors à quoi bon se battre ? »

Wilson, qui a eu l’idĂ©e de l’orchestre en mars et prĂ©voit de le relancer l’étĂ© prochain, a dĂ©clarĂ© qu’elle tenait Ă  prĂ©senter la symphonie de Silvestrov comme moyen de promouvoir la culture ukrainienne. Vers la fin de la piĂšce, le compositeur a Ă©crit une sĂ©rie de sons respiratoires pour les cuivres, un effet destinĂ© Ă  imiter les derniers souffles de sa femme.

Wilson, qui a dĂ©diĂ© la piĂšce aux Ukrainiens tuĂ©s pendant la guerre, a dĂ©clarĂ© qu’elle avait demandĂ© Ă  l’orchestre de penser aux sons non pas comme la mort, mais comme la vie.

« C’est le souffle de la vie, pour montrer que leurs esprits continuent », a-t-elle dĂ©clarĂ© dans une interview.

Vikhrova a dĂ©clarĂ© que la tournĂ©e l’avait rapprochĂ©e de son mari et de ses collĂšgues joueurs. Elle pleure aprĂšs chaque reprĂ©sentation de la symphonie de Silvestrov, et quand l’orchestre joue un arrangement de la musique nationale ukrainienne


SOURCE : Reviews News

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