‘RRR’ : l’ultra

'RRR' : l'ultra-nationalisme indien débarque sur Netflix - The Objective

😍 2022-08-17 03:30:00 – Paris/France.

Des nuages ​​plus lourds de populisme nationaliste arrivent de l’Est. RĂ©cemment, La bataille du lac Changjin a montrĂ© le muscle (et les quelques scrupules d’exactitude historique et de plausibilitĂ© narrative) du cinĂ©ma de propagande chinois encouragĂ© par le cĂ©sarisme de Xi Jinping. Et l’affaire Poutine est dĂ©jĂ  passĂ©e dans une autre dimension, trop Ă©vidente. Il semble maintenant que ce soit le tour de l’Inde. Un gĂ©ant de 1 380 millions d’habitants sĂ©culairement endormi
 Jusqu’à prĂ©sent ? Le film RRRphĂ©nomĂšne de sociĂ©tĂ© Ă  l’intĂ©rieur et Ă  l’extĂ©rieur de ses frontiĂšres, laisse des signes inquiĂ©tants dans un contexte trop inflammable. Lundi marquait le 75e anniversaire de l’indĂ©pendance de l’Inde, marquĂ© par l’irrĂ©sistible ascension de son prĂ©sident, Narendra Modi, autre leader charismatique Ă  ajouter Ă  notre folie gĂ©opolitique. Ceci, en plus, incite au nationalisme qui lui convient avec une ruse de longue (et dangereuse) tradition : union contre l’ennemi commun musulman. Juste au moment oĂč les Ă©chos de l’attentat contre Salman Rushdie, de nationalitĂ© anglo-amĂ©ricaine mais incontestablement d’origine indienne, rĂ©sonnent encore.

Avec un budget de 70 millions, RRR C’est le film le plus cher de l’histoire du cinĂ©ma indien. Sa proposition d’action sauvage, d’interprĂ©tation manichĂ©enne de l’histoire et de grandeur gĂ©nĂ©rĂ©e par ordinateur a fait exploser le box-office national, mais il l’a Ă©galement placĂ© comme l’un des plus regardĂ©s cet Ă©tĂ© dans le monde sur Netflix, en charge de la distribution. SituĂ© dans la lutte pour l’indĂ©pendance contre l’Empire britannique, le scĂ©nario ne laisse aucun rĂ©pit Ă  la subtilitĂ© artistique ou Ă  l’exactitude historique. Tous les Anglais sont absolument diaboliques, Ă  l’exception de quelques femmes qui tombent amoureuses du charme des deux hĂ©ros principaux. Ils chantent, dansent, souffrent et surtout tuent Ă  droite et Ă  gauche dans des chorĂ©graphies complĂštement surrĂ©alistes. Oubliez Tarantino, Rambo, tout ce que vous voulez. C’est plus, beaucoup plus.

Le ton mĂ©lodramatique jusqu’à la nausĂ©e, le manichĂ©isme indescriptible et les performances Ă©coeurantes prennent tout leur sens dans un genre bien spĂ©cifique, au goĂ»t du spectateur indien moyen. Plus proches d’un rĂ©cit encore plus proche, pour le meilleur ou pour le pire, du mythe, ils ne se sentent redevables de rien qui ressemble Ă  nos notions (parfois trop) omniprĂ©sentes de rĂ©alisme et/ou de vraisemblance. Ce qui est Ă©trange, c’est son succĂšs auprĂšs des publics occidentaux, plus sophistiquĂ©s ou plus diaboliques, plus subtils ou plus cyniques, si vous voulez.. Mais diffĂ©rent. MĂȘme si c’est peut-ĂȘtre lĂ  que rĂ©side la raison ultime de son attrait : l’approche exotique. Une dĂ©bauche d’action, de couleur et de rythme sans grand bocal comique, que mĂȘme les super-hĂ©ros Marvel passent par le psychanalyste ces derniers temps.

Ce qui est déjà incroyable, aprÚs avoir vu le film, ce sont les critiques positives des médias comme atlantiquequi apprécie ne pas avoir peur de « sa propre extravagance » et assure que « ça devrait rendre Hollywood jaloux », ou Variétéqui loue le travail de ses comédiens.

MĂȘme l’exquis Le new yorker le met Ă  travers le toit. Son critique Richard Brody explique que son titre joue avec les initiales des mots Rise Roar RĂ©volte (rise, roar and revolt en anglais) puis prĂ©cise qu’il « transforme l’histoire en lĂ©gende par une intensification de la rhĂ©torique visuelle ». Celui qui atteint la fin de ses 185 minutes de sĂ©quences remarquera quelle nouvelle tournure sur le concept d’euphĂ©misme cela signifie. Brody dit Ă©galement que l’intrigue est « trĂšs vaguement basĂ©e sur l’histoire vraie de deux rĂ©volutionnaires indiens du dĂ©but du XXe siĂšcle ». L’adverbe marque un autre jalon euphĂ©mique, mais tout est permis car il inspire une « magnifique effusion d’énergie crĂ©atrice ».

La presse progressiste n’a pas envie, dans ce cas, d’appeler la propagande par son nom. Au Royaume-Uni, un magazine aussi prestigieux que Le spectateur Elle n’hĂ©site pas Ă  se dĂ©finir comme conservatrice. Dans sa critique du film, Robert Tobs tire directement du sous-titre : «La mode de l’anti-impĂ©rialisme simpliste est loin d’ĂȘtre innocente». Il commence par analyser la reprĂ©sentation des super-vilains, les deux principaux personnages britanniques, le gouverneur Scott et sa femme, comme « exceptionnellement mĂ©prisables et en mĂȘme temps incroyablement stupides ». Il poursuit en Ă©mettant l’hypothĂšse de ce qui se passerait « si un film montrait des dirigeants nigĂ©rians comme des cannibales ou des politiciens hindous brĂ»lant des veuves vives ».

La mĂ©chancetĂ© des Britanniques dĂ©passe celle inventĂ©e par le pire feuilleton imaginable pour l’heure de la sieste. Mais ils sont vendus comme des personnages historiques. Et Tobs n’y consent pas : « Des films comme RRR ils ne rĂ©vĂšlent pas une vĂ©ritĂ© cachĂ©e sur le passĂ©, pas plus qu’ils n’expriment un vĂ©ritable sentiment populaire. Ils essaient de susciter des Ă©motions synthĂ©tiques. Leur objectif principal, bien sĂ»r, est de divertir et de gagner de l’argent. Doit-on rire, et mĂȘme profiter du mĂ©lodrame ? Peut-ĂȘtre. Mais mĂȘme si c’est absurdement incroyable, nous savons que de nos jours les gens achĂštent presque tout ce qui est mauvais Ă  propos de l’empire britannique«. Depuis l’Espagne, nous comprenons parfaitement cette colĂšre contre les injustices de la lĂ©gende noire, un mĂ©canisme si rentable pour certains. Les Anglais le comprendront mieux que quiconque
 Mais commettre une injustice avec l’injuste n’est pas justice, mais dupliquer l’injustice.

En tout cas, le pire, comme le conclut Tobbs, revient paradoxalement Ă  l’Inde : «RRR il s’incline devant le nationalisme hindou rĂ©actionnaire et violent qui est en train de dominer la culture et la politique indiennes, alimentĂ© par le gouvernement Modi. Ceux qui en souffrent ne sont pas les Britanniques, mais les minoritĂ©s indiennes, notamment les musulmans, mais aussi les chrĂ©tiens., et en fait tout libĂ©ral qui se dresse contre l’extrĂ©misme, la persĂ©cution et le sectarisme. En rĂ©alitĂ©, RRR Il n’enregistre pas la saletĂ© du gouvernement britannique dans les annĂ©es 1920, mais la saletĂ© croissante de l’Inde aujourd’hui. Netflix devrait avoir honte d’en faire la promotion«.

Du pacifisme de Gandhi à la partition de l’Inde

Analysons ce point en profondeur. Le spectateur peu averti sera surpris par tant de violence pour dĂ©crire la lutte pour l’indĂ©pendance de l’Inde, alors que le sujet nous dit qu’il s’agissait d’un exemple de pacifisme. La figure du Mahatma Gandhi y est pour beaucoup. Sa merveilleuse dĂ©fense de la non-violence a Ă©bloui le monde et s’est inscrite dans l’imaginaire collectif occidental, surtout aprĂšs le film. gandhiqui remporta l’Oscar du meilleur film en 1982. Peu de gens se souviennent cependant des dĂ©tails de sa mort, un an aprĂšs l’indĂ©pendance.

La question la plus dĂ©licate dans ce processus n’était pas prĂ©cisĂ©ment la rĂ©sistance d’un Royaume-Uni dĂ©jĂ  plus que rĂ©signĂ© Ă  la dissolution de son empire aprĂšs la Seconde Guerre mondiale. Le gros problĂšme Ă©tait interne. Parce que l’Inde n’est pas un pays. C’est tout un continent. Sa Constitution prĂ©voit 24 langues officielles, bien qu’il existe plusieurs centaines de dialectes Ă  travers le pays. PrĂšs de 80% de la population se dĂ©clare hindoue, mais c’est une religion aux innombrables dĂ©clinaisons locales et une interminable lĂ©gion de dieux. La deuxiĂšme religion la plus suivie est l’Islam, avec environ 15%, une minorité  de plus de 200 millions de personnes. TrĂšs inconfortable, d’ailleurs.

Pour rĂ©gler l’affairel’indĂ©pendance aboutit Ă  la partition des territoires britanniques en deux pays, l’Inde pour les hindous et le Pakistan pour les musulmans, mais beaucoup de ces derniers, enracinĂ©s dans les rĂ©gions assignĂ©es Ă  l’Inde, refusĂšrent d’émigrer. Beaucoup d’Indiens n’étaient pas satisfaits. Les plus exaltĂ©s n’ont pas soutenu les transferts aux musulmans. L’un d’eux a tuĂ© Gandhi en 1948. Son nom : Nathuram Vinayak Godse.

Soutik Biswas, correspondant du Bbc en Inde, trace un itinĂ©raire intĂ©ressant depuis l’idĂ©ologie d’un tel Godse jusqu’à la situation politique actuelle du pays. Voyons voir. History First : « Le fan de 38 ans Ă©tait membre de l’Hindu Mahasabha, un parti conservateur. Il avait accusĂ© Gandhi d’avoir trahi les hindous en Ă©tant trop pro-musulman et trop doux avec le Pakistan (
) Un tribunal a condamnĂ© Godse Ă  mort un an aprĂšs le meurtre. Il a Ă©tĂ© exĂ©cutĂ© en novembre 1949. »

Maintenant, le lien actuel : « Avant de rejoindre l’Hindu Mahasabha, Godse Ă©tait membre du Rashtriya Swayamsevak Sangh ou RSS, l’organe idĂ©ologique du parti Bharatiya Janata (BJP) au pouvoir en Inde. Le Premier ministre Narendra Modi lui-mĂȘme est un membre de longue date du vaisseau-mĂšre du nationalisme hindou. Le RSS joue un rĂŽle trĂšs influent dans votre gouvernement et en dehors de celui-ci. » Et le dernier en date : « Pendant des dĂ©cennies, le RSS a rejetĂ© Godse, qui a assassinĂ© le ‘PĂšre de la Nation’, comme les Indiens aiment appeler leur plus grande icĂŽne. Cependant, ces derniĂšres annĂ©es, un groupe de conservateurs hindous a vantĂ© Godse et cĂ©lĂ©brĂ© ouvertement l’assassinat de Gandhi. L’annĂ©e derniĂšre, un dĂ©putĂ© incendiaire du BJP a dĂ©crit Godse comme un « patriote ». Tout cela a indignĂ© la plupart des Indiens, mais le RSS a tenu bon : Godse avait quittĂ© l’organisation bien avant de tuer Gandhi. Cependant, « un nouveau livre prĂ©tend maintenant que ce n’est pas tout Ă  fait vrai ». Dhirendra Jha, auteur de L’assassin de Gandhirappelez-vous que, sur son chemin vers la potence, Godse a rĂ©citĂ© les quatre phrases de la priĂšre RSS».

Une scùne de ‘RRR’.

Revenons maintenant au film. Le fil de RRR est l’amitiĂ© entre deux combattants Ă©piques issus de deux traditions diffĂ©rentes : le Gond et le Telegu. Leurs diffĂ©rentes stratĂ©gies pour combattre les Anglais crĂ©ent une sĂ©rie de malentendus qui les amĂšnent Ă  s’affronter jusqu’à ce que, plusieurs Ă©piphanies et bons sentiments plus tard, tout soit rĂ©solu et qu’ils unissent leurs forces contre l’ennemi commun. Dans les moments culminants de leurs meurtres, une chanson explique que l’un est le feu, un volcan
 et l’autre, l’eau, une tempĂȘte imparable. Tout entre les images qui les imite avec l’imagerie religieuse hindoue.

‘RRR’ et les musulmans comme ennemi commun

Le message parfait pour le projet fĂ©dĂ©rateur du prĂ©sident Modi, probable candidat de Poutine ou de Xi Jinping. Bien que les Anglais ne soient plus l’ennemi commun, bien sĂ»r. S’ils servent peut-ĂȘtre, comme dans ce cas, Ă  attiser un peu la victimisation anticoloniale, Ă  la maniĂšre bolivarienne, dans le but ultime de diriger l’unitĂ© contre la vĂ©ritable cible : les musulmans, qui rechignent Ă  s’intĂ©grer. L’hindouisme, avec son credo protĂ©iforme, si pratique pour la nĂ©cessaire souplesse d’un homme politique, peut ĂȘtre utilisĂ© pour homogĂ©nĂ©iser un pays aussi divers que l’Inde. L’Islam
 Ce n’est pas le seul cas. La Chine, par exemple, pourrait dire la mĂȘme chose avec l’ethnie ouĂŻghoure, son grand casse-tĂȘte interne, mais l’Inde est beaucoup plus problĂ©matique. En fait, c’est un problĂšme nuclĂ©aire Ă  plus d’un titre : Le Pakistan et l’Inde sont des puissances atomiques, avec des escarmouches constantes dans la rĂ©gion frontaliĂšre du Cachemire.

Dans RRR, l’un des protagonistes se dĂ©guise en musulman pour infiltrer la ville de Delhi et attaquer les Britanniques Ă  partir de lĂ . L’idĂ©e n’a pas plu Ă  beaucoup d’hindous, qui ont affichĂ© leur mĂ©contentement sur les rĂ©seaux sociaux, et mĂȘme au petit-fils du personnage


SOURCE : Reviews News

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