Mitski est plus que TikTok

đŸŽ” 2022-03-11 20:45:06 – Paris/France.

Mitski a dĂ©mĂ©nagĂ© Ă  Nashville. Elle ne sait pas trop pourquoi, parce qu’elle ne connaissait vraiment personne lĂ -bas, mais elle aimait Ă  quel point c’était particuliĂšrement bizarre – une ville avec des histoires. Un homme d’affaires local venait de dĂ©cĂ©der et avait lĂ©guĂ© son importante succession Ă  son Border Collie. Les enterrements de vie de jeune fille Ă©taient une industrie artisanale surrĂ©aliste et omniprĂ©sente : « Il y a toujours une femme qui pleure dans la rue et cinq autres femmes portant des t-shirts assortis qui la rĂ©confortent », comme Mitski me l’a dit. « C’est un si bon endroit pour observer la condition humaine. »

Peut-ĂȘtre qu’elle ne ferait plus jamais son propre disque. Peut-ĂȘtre que c’était OK. Elle vivrait tranquillement et relativement bon marchĂ©, pensait-elle, Ă©crivant des chansons pour d’autres artistes, peut-ĂȘtre, dans l’anonymat et l’ignorance bĂ©ate de ce que les gens disaient d’elle sur Internet.

Lorsqu’elle Ă©tait en tournĂ©e, son processus d’écriture s’est accĂ©lĂ©rĂ© – quelques lignes fragmentaires ou des idĂ©es mĂ©lodiques notĂ©es dans des moments d’arrĂȘt arrachĂ©s. Mais Ă  Nashville, et finalement dans le silence imposĂ© de la pandĂ©mie, elle a dĂ©couvert qu’elle pouvait enfin passer des journĂ©es entiĂšres Ă  Ă©crire. Elle a comparĂ© le processus Ă  la visite d’un spa corĂ©en : « Je dois aller dans le sauna mĂ©taphorique et m’y asseoir un moment et le sentir et me dĂ©tendre. » L’une des premiĂšres nouvelles chansons qu’elle a Ă©crites Ă©tait un numĂ©ro introspectif intitulĂ© « Working for the Knife », qui mettait des mots et des accords bourdonnants sur son expĂ©rience d’épuisement crĂ©atif. « J’avais l’habitude de penser que j’en aurais fini Ă  20 ans », dit-il. « Maintenant, Ă  29 ans, la route Ă  suivre semble la mĂȘme / Bien qu’à 30 ans, je verrai un moyen de changer. »

Les chansons continuaient Ă  venir. Finalement, elle en accumula suffisamment pour se rendre compte – AllĂ©luia ! Bon Dieu! – qu’elle faisait un autre album. Elle l’a appelĂ© « Laurel Hell », un surnom donnĂ© aux fourrĂ©s denses et Ă©pineux mais d’une beautĂ© trompeuse d’arbustes vĂ©nĂ©neux qui prolifĂšrent dans le sud des Appalaches. Comme les chants de sirĂšne de ces fleurs, le disque contient certaines des musiques les plus immĂ©diatement accessibles de la carriĂšre de Mitski, et certaines des plus difficiles sur le plan tonal et thĂ©matique. Des airs Ă©lĂ©gants et dansants inspirĂ©s de la pop des annĂ©es 80 coexistent avec des chansons comme l’étrange « Heat Lightning », qui Ă©voque la sensibilitĂ© Ă©mouvante et drone que John Cale a apportĂ©e au Velvet Underground. Mitski a insistĂ© pour que le premier single ne soit pas une chanson pop accrocheuse comme « The Only Heartbreaker », mais la version finale de « Working for the Knife », avec ses accords de synthĂ©tiseur teintĂ©s industriels qui rĂ©sonnent comme de l’équipement d’usine.

Cela ne semble pas nĂ©cessairement attrayant, mais « Laurel Hell » a Ă©tĂ© l’album le plus rĂ©ussi commercialement de Mitski Ă  ce jour. Lors de sa sortie dĂ©but fĂ©vrier, il a fait ses dĂ©buts au n ° 5 du palmarĂšs des albums Billboard, au-dessus des sorties rĂ©centes de Drake, Adele et The Weeknd, et c’était l’album le plus vendu de cette semaine en AmĂ©rique. Cela a beaucoup Ă  voir avec une chose Ă©trange qui s’est produite au cours des trois annĂ©es qui ont suivi le retrait de Mitski des projecteurs : elle est devenue – pour des raisons qu’elle ne comprend pas tout Ă  fait – Ă©norme sur TikTok.

Au moment d’écrire ces lignes, la musique de Mitski a fourni une bande-son pour plus de 2,5 millions de vidĂ©os gĂ©nĂ©rĂ©es par les utilisateurs sur la plate-forme, et les TikToks avec le tag « #Mitski » ont Ă©tĂ© visionnĂ©s 1,5 milliard de fois. Le hashtag #Mitskiistherapy, faisant rĂ©fĂ©rence Ă  ses paroles Ă©motionnellement Ă©vocatrices, compte prĂšs de 50 millions de vues. « MitskiTok » est son propre coin non officiel de l’application, oĂč des milliers d’utilisateurs regardent des extraits de ses interviews (« 1 minute de mitski Ă©tant une icĂŽne littĂ©rale ») et des vidĂ©os de ses performances en direct (« c’est son monde ») et publient occasionnellement des parodies amoureusement conçues de ses chansons, dont plusieurs sont elles-mĂȘmes devenues virales. La musique de Mitski accorde aux personnes que la sociĂ©tĂ© traite souvent comme marginales la vivacitĂ© hurlante des personnages principaux, et c’est une grande partie de son attrait. Donnez-moi vos masses fatiguĂ©es, maladroites, solitaires, semble dire une chanson de Mitski, et je leur laisserai ressentir tous les sentiments.

« Je ne comprends pas, mais c’est sympa ! » a dĂ©clarĂ© Mitski, qui a maintenant 31 ans, faisant rĂ©fĂ©rence Ă  TikTok en riant. « Je sais seulement ce qu’on m’a dit. Tous les hommes d’affaires disent : « C’est tellement gĂ©nial ! Et je me dis: ‘S’il vous plaĂźt, arrĂȘtez de m’envoyer des SMS avec ces TikToks.’ C’est comme beaucoup de choses auxquelles j’ai juste dĂ©cidĂ© de ne pas penser.

Qu’elle veuille y penser ou non, cependant, cet afflux de nouveaux fans signifiait qu’elle jouerait dans des salles plus grandes que jamais, y compris en tĂȘte d’affiche du Radio City Music Hall le 24 mars. pendant la pandĂ©mie qu’elle a manquĂ© de jouer – ce sens aigu du sens qui vient quand «chaque moment de chaque jour mĂšne Ă  ce sommet qu’est le spectacle». Il faudrait beaucoup de prĂ©paration physique et mentale pour la remettre dans ce rythme, et quand je lui ai rendu visite Ă  Los Angeles, elle Ă©tait au milieu de plusieurs semaines chargĂ©es de rĂ©pĂ©titions.

Un aprĂšs-midi de fin janvier, Mitski et le chorĂ©graphe Jas Lin se tenaient devant un mur en miroir dans un espace de danse caverneux appelĂ© Stomping Ground LA, parcourant les mouvements mĂ©ticuleusement planifiĂ©s du spectacle. « Stay Soft », un nouveau single optimiste mais obsĂ©dant, retentit au-dessus de la tĂȘte. « Ici, c’est comme si vous Ă©tiez une de ces plantes qui, lorsqu’un animal s’approche, vous vous refermez », a expliquĂ© Lin.

Mitski est loin d’ĂȘtre une danseuse de formation : elle a suivi quelques cours de ballet en premiĂšre annĂ©e, puis a dĂ©missionnĂ©, car un enfant qui l’intimidait Ă  l’école Ă©tait dans la classe et la mĂšre de l’intimidateur Ă©tait l’enseignante (« Ne les offensez pas maintenant, car je Je suis sĂ»r que ce sont des gens trĂšs gentils »). Pourtant, lorsqu’elle planifiait la tournĂ©e de « Be the Cowboy » en 2018, Mitski a dĂ©cidĂ© qu’elle voulait faire quelque chose de diffĂ©rent sur scĂšne en se dĂ©battant Ă  sa guitare. Elle a contactĂ© l’artiste et chorĂ©graphe Monica Mirabile, et ensemble, ils ont chorĂ©graphiĂ© une tournĂ©e entiĂšre en un tourbillon de trois semaines. La brutalitĂ© palpable du mouvement sur scĂšne de Mitski n’a fait que la faire aimer davantage de ses fans. « Le fait qu’elle ne soit pas une danseuse de formation », m’a dit Mirabile, « donne la permission aux autres corps de bouger. »

Mais Ă  Stomping Ground, cela rendait aussi Mitski un peu nerveux. « Nous allons faire la chose effrayante maintenant », a dĂ©clarĂ© Lin vers la fin de leur rĂ©pĂ©tition de trois heures, faisant tourner Mitski par les Ă©paules, « et faire face Ă  cette direction. » Mitski, qui s’était habituĂ©e Ă  se regarder dans les miroirs, gĂ©mit. Mais comme une simple pression sur un interrupteur, la discipline rigoureuse qu’elle apporte Ă  tous les aspects de son travail s’est soudainement manifestĂ©e et elle s’est calmĂ©e en respirant profondĂ©ment. Les notes de basse d’ouverture de « Stay Soft » ont explosĂ© des haut-parleurs, et Ă  contretemps, elle a fait semblant de jeter un coup d’Ɠil Ă  travers un rideau invisible, saluant un public imaginaire, fiĂ©vreusement attendu.

« Bienvenue Ă  quelqu’un la maison d’un autre », Mitski m’a accueilli le lendemain matin dans sa maison de location situĂ©e dans une rue calme du parc voisin de Monterey. Elle nous a prĂ©parĂ© chacun une tasse de thĂ© dans la cuisine, puis nous nous sommes installĂ©s Ă  une table de pique-nique dans le jardin Ă©dĂ©nique rempli de flore. Je lui ai demandĂ©, le visage nu et enveloppĂ© dans un sweat-shirt en molleton vert chasseur, si Nashville se sentait maintenant comme chez lui. Elle a semblĂ© Ă  la fois surprise et ravie quand elle a dit oui : « Ça me manque maintenant. C’est gentil, n’est-ce pas ? »

La maison a toujours Ă©tĂ© un concept insaisissable pour Mitski, qui a souvent dĂ©mĂ©nagĂ© dans son enfance en raison du travail de son pĂšre au dĂ©partement d’État amĂ©ricain. Elle est nĂ©e au Japon mais a passĂ© du temps en Turquie, en Chine et en Malaisie ; bien que citoyenne amĂ©ricaine, Mitski n’a pas vĂ©cu longtemps aux États-Unis jusqu’à ce qu’elle soit au lycĂ©e. Elle Ă©tait pour toujours la petite nouvelle, essayant une personnalitĂ© diffĂ©rente dans chaque Ă©cole, effrayĂ©e de nouer des liens sociaux profonds qu’elle savait qu’elle devrait inĂ©vitablement rompre. Quand elle a commencĂ© Ă  Ă©crire de la musique Ă  la fin de son adolescence, cependant, elle a trouvĂ© un exutoire crĂ©atif pour ces affres de l’outsider. Au fil de ses premiers albums, elle a dĂ©couvert le paradoxe de cet auteur-compositeur sĂ©culaire : plus elle avouait sans crainte sa solitude, plus les gens Ă©taient connectĂ©s Ă  sa musique.

Prenez « Your Best American Girl », le single de son album de 2016, « Puberty 2 ». La chanson capture habilement l’anxiĂ©tĂ© et l’isolement d’une relation interculturelle : « You’re an all-American boy », hurle Mitski sur des accords de guitare en terre brĂ»lĂ©e. « Je suppose que je ne pouvais pas m’empĂȘcher d’essayer d’ĂȘtre ta meilleure fille amĂ©ricaine. » Essayer implique un Ă©chec. Mais la chanson est Ă©galement animĂ©e par le fait que les mots «meilleur», «amĂ©ricain» et mĂȘme «fille» sont tous des fictions Ă©touffantes, et que quiconque prĂ©tendant parfaitement correspondre Ă  ces rĂŽles ment probablement. Le volume pulvĂ©risant de la chanson glorifie une telle angoisse en quelque chose d’épique. C’est mĂ©lancolique, mais aussi triomphalement Ă©mouvant.

Il y a quelques annĂ©es, lors d’un de ces moments Ă©tranges et liminaux de voyages liĂ©s Ă  une tournĂ©e, Mitski s’est retrouvĂ©e Ă  passer NoĂ«l seule dans une chambre d’hĂŽtel malaisienne. Elle Ă©tait si seule qu’elle s’est retrouvĂ©e Ă  ouvrir la fenĂȘtre juste pour Ă©couter des inconnus se parler Ă  l’extĂ©rieur. Comme elle l’avait fait tant de fois auparavant, elle a fait face Ă  ce sentiment en le canalisant dans une chanson, qui deviendrait « Nobody », un single aux influences disco de « Be the Cowboy ». « Je sais que personne ne me sauvera, j’ai juste besoin de quelqu’un Ă  embrasser », chantonna-t-elle dans un nĂ©ant muet et sans retour. « Donnez-moi un bon baiser honnĂȘte et tout ira bien. » Comme beaucoup des meilleures chansons de Mitski, « Nobody » se prĂ©lasse dans un sentiment abject jusqu’à ce qu’il devienne quelque chose de festif, glorieux, presque transcendant. Trois ans aprĂšs sa sortie en tant que single modĂ©rĂ©ment populaire, ce boomerang ardent lui est revenu de la maniĂšre la plus inattendue, lorsqu’il est devenu – de toutes choses – la bande originale d’un mĂšme. En juin 2021, c’était un phĂ©nomĂšne Ă  part entiĂšre, la bande-son de facto de milliers de vidĂ©os d’utilisateurs de TikTok mimant une Ă©vasion de leurs peurs ou de leurs expĂ©riences dĂ©sagrĂ©ables tandis que Mitski chante le mot « personne » avec une passion croissante (une vidĂ©o Ă©tait sous-titrĂ©e  » quand le plus proche a appelĂ© et que vous voyez votre manager marcher vers vous » ; un autre « quand vous avez suppliĂ© un petit ami et qu’un garçon essaie de vous parler »). C’était alĂ©atoire, oui, mais aussi cathartique : qui d’entre nous n’a pas fantasmĂ© de fuir nos boogeymen de tous les jours comme si nous Ă©tions le dernier personnage survivant d’un film slasher ?

Tous ceux qui ont fait une vidĂ©o « Nobody » ne sont pas devenus des inconditionnels de Mitski, mais cela a certainement conduit de jeunes fans Ă  dĂ©couvrir ses albums prĂ©cĂ©dents, oĂč ils Ă©taient ravis de trouver des expressions encore plus brutes de l’angoisse des jeunes adultes. Une de ses vieilles chansons qui est devenue Ă©tonnamment populaire en ligne, « Class of 2013 », extraite d’un album qu’elle a sorti Ă  l’universitĂ©, prĂ©sente des cris primitifs et de l’anxiĂ©tĂ© Ă  l’idĂ©e de grandir : « Maman, suis-je encore jeune ? Puis-je rĂȘver encore quelques mois ? Un rapide coup d’Ɠil sur « MitskiTok » montre qu’il s’agit d’un lieu oĂč de nombreux jeunes sont venus exprimer, partager et, dans certains cas, esthĂ©tiser exagĂ©rĂ©ment des sentiments pour lesquels ils n’ont peut-ĂȘtre pas d’autres exutoires.

La seule thĂ©orie de Mitski sur sa cĂ©lĂ©britĂ© sur les rĂ©seaux sociaux est Ă  moitiĂ© plaisante mais un peu morbide : « Une fois que quelqu’un est mort, il devient ce hĂ©ros », a-t-elle dĂ©clarĂ©. « Et je suis mort sur Internet, alors ils me font passer pour un hĂ©ros. » Ce n’est pas vraiment une exagĂ©ration. Parmi les nombreux fans de Mitski


SOURCE : Reviews News

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