đ REVIEWS News â Paris/France.
Câest un peu surprenant de regarder Ruth Slater en face. Tout comme son agent de libĂ©ration conditionnelle au dĂ©but du film alors quâelle sort de prison aprĂšs avoir purgĂ© une peine de vingt ans. Ce visage est enfoncĂ© et jaunĂątre et dĂ©fiant et enflĂ©, comme fouettĂ© par la vie. Elle a plissĂ© les yeux, sans lumiĂšre et sans espoir. Il faut un moment pour rĂ©aliser quâil sâagit en fait de Sandra Bullock, la fille de rĂȘve la plus intelligente dâAmĂ©rique Ă cĂŽtĂ©.
Ce visage est encadrĂ© par des morceaux dâimages et de sons du passĂ© de Ruth, qui reconstituent son histoire dans le film « The Unforgivable ». Une ferme avec des chevaux. Ruth, presque adulte, plus une soeur, environ cinq ans. Un pĂšre qui se suicide. Un shĂ©rif et ses hommes, une expulsion. Ruth suppliant hystĂ©riquement que sa sĆur ne lui soit pas enlevĂ©e. Un pistolet sur le mur et Ruth jure quâelle lâutilisera aussi. Ă la fin, le shĂ©rif, un homme bien ĂągĂ©, a Ă©tĂ© abattu dans la cage dâescalier.
Donc un tueur de flics. Une femme qui nâarrivait pas Ă accepter les humiliations qui accompagnent le dĂ©clin social dâune famille amĂ©ricaine. MĂȘme si vous ne pouvez pas imaginer le rythme entraĂźnant auquel Bob Marley a chantĂ© son « I Shot the Sheriff » comme un hymne dâautodĂ©fense contre lâoppression Ă©ternelle â cette femme est toujours un pirate du systĂšme.
La vie en prison était mauvaise. Mais la vie en liberté est presque pire
Il est donc pratiquement Ă©vident que la rĂ©alisatrice allemande Nora Fingscheidt est entrĂ©e en jeu ici. Dans un projet de Graham King, le producteur britannique de nombreux films de Martin Scorsese et dâautres productions majeures, et de Sandra Bullock, qui nâest pas seulement lâactrice principale ici, mais qui porte Ă©galement le titre de « productrice ».
« System Crasher » est le nom du premier long mĂ©trage fort et implacablement rĂ©aliste de Fingscheidt sur une fillette de neuf ans, mentalement blessĂ©e, trĂšs agressive et nĂ©anmoins adorable. Ce faisant, elle a remportĂ© un ours de la Berlinale en 2019 et de nombreux autres prix et a attirĂ© lâattention internationale. Un de ces rares funambules au cinĂ©ma qui rĂ©ussissent parfois. Pour le mĂȘme exploit dâempathie, on lui confiait dĂ©sormais lâhistoire de ce tueur, et une star comme Viola Davis Ă©tait prĂȘte Ă jouer un tout petit rĂŽle de soutien.
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La vie de libertĂ© dans laquelle Ruth tombe sâavĂšre infernale. Comme lâauberge de transition remplie de bagarres, de cris et de cynisme, oĂč elle se voit attribuer un lit superposĂ© et oĂč dâautres femmes fouillent immĂ©diatement dans ses affaires. Ou lâusine de poisson oĂč elle obtient un travail sans instruction sur les machines dangereuses. MĂȘme sur le trottoir de ce monde impitoyable, tout le monde semble la croiser sans pitiĂ©. Si vous comparez cela avec « Systemsprenger », oĂč chaque ton a Ă©tĂ© rĂ©glĂ© avec le plus grand soin, cette production semble plus pointue et criarde.
Ruth apparaĂźt malmenĂ©e dans tout cela, mais rationnelle et complĂštement saine dâesprit. Elle hausse les Ă©paules au fait que les fils du shĂ©rif qui a Ă©tĂ© tuĂ© complotent apparemment une vengeance et la menacent dâappels anonymes. Son plus grand souhait est de revoir sa petite sĆur, qui a Ă©tĂ© placĂ©e dans une famille dâaccueil aprĂšs le meurtre. Depuis, Ruth a Ă©tĂ© tenue Ă lâĂ©cart dâelle, dâinnombrables lettres sont restĂ©es sans rĂ©ponse et nâont peut-ĂȘtre jamais atteint leur destinataire.
Câest ainsi que Ruth vit dans les souvenirs, par exemple du moment oĂč elle sâest rendue Ă la police et a dĂ» dire au revoir Ă sa sĆur. Alors elle lui a achetĂ© un Ă©norme morceau de gĂąteau et lâa assise dos Ă la fenĂȘtre du restaurant. Lâenfant sans mĂ©fiance est vue avec ses joues pleines de gĂąteaux alors que Ruth disparaĂźt du cadre, puis rĂ©apparaĂźt Ă lâextĂ©rieur et est abattue par des policiers dans une image fortement dĂ©calĂ©e en profondeur.
La vie de la sĆur, maintenant adulte, est Ă©galement montrĂ©e. Katie a grandi Ă lâabri dans une famille de substitution plutĂŽt surprotectrice. Le passĂ© semble sâĂȘtre effacĂ© de son esprit, si complĂštement quâelle ne sait plus rien de Ruth, et les parents adoptifs ne pensent pas non plus Ă changer cela. Les lettres de Ruth sortent dâun tiroir sans ĂȘtre lues. Peut-ĂȘtre pour la protection de Katie : elle est talentueuse et se prĂ©pare Ă Ă©tudier le piano.
Mais Ruth ne baisse pas les bras, elle trouve un avocat. Il organise une rencontre avec les parents, qui dĂ©gĂ©nĂšre rapidement alors quâils continuent de bloquer. Cela soulĂšve la question de savoir pourquoi Katie est traitĂ©e comme une mineure â selon la logique du film, elle a 25 ans et devrait prendre elle-mĂȘme de telles dĂ©cisions. Cette incohĂ©rence provient probablement de lâoriginal, « The Unforgiven » de Sally Wainwright de 2009, une sĂ©rie tĂ©lĂ©visĂ©e anglaise en trois parties dans laquelle le temps passĂ© en prison par le meurtrier Ă©tait nettement plus court.
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RenversĂ©e par la vie : Sandra Bullock dans « Lâimpardonnable ».
(Photo : Kimberley French/Netflix)
Mais le plus gros point dâinterrogation qui plane sur tout est un autre : comment Ruth est-elle devenue une meurtriĂšre en premier lieu ? Aucune femme sensĂ©e ne tirerait dans la tĂȘte dâun shĂ©rif corpulent Ă bout portant avec son arme Ă la main. Pas mĂȘme quand il casse la porte du sous-sol. Il faudrait donc voir chez ce personnage des signes de dissolution et dâinstabilitĂ© mentale, au moins comme une intuition, au moins comme une trace. Mais il nây a pas la moindre indication de cela.
On se demande si cela est dĂ» au star system amĂ©ricain et Ă ses problĂšmes connus. Sandra Bullock Ă©tait-elle prĂȘte Ă jouer un « Cop Killer » et avait lâair assez effrayante, mais nâa-t-elle pas fini par ĂȘtre assez courageuse pour un personnage complet? Cela arrive. Cependant, Nora Fingscheidt, lâune des meilleures nouvelles rĂ©alisatrices, sait comment raconter des personnages complets â a-t-elle Ă©tĂ© rejetĂ©e et impuissante ?
Le verdict Ă ce sujet devrait ĂȘtre reportĂ© Ă la fin du film qui, malgrĂ© cette question non rĂ©solue, est Ă©mouvant et mĂ©rite certainement dâĂȘtre vu et sâintensifie dans une finale Ă couper le souffle. Car Ă la fin, la perspective change Ă nouveau et les dĂ©cisions narratives prises par Bullock et Fingscheidt apparaissent sous un nouveau jour.
Lâimpardonnable, Ătats-Unis 2021 â RĂ©alisation : Nora Fingscheidt. Un livre: Peter Craig, Hillary Seitz, Courtenay Miles. CamĂ©ra : Guillermo Navarro. Avec Sandra Bullock, Jon Bernthal. Sortie en salle : 25 novembre 2021. A partir du 10 dĂ©cembre. sur Netflix.
SOURCE : Reviews News
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