Le retour de SebastiĂĄn Lelio aux mains de Florence Pugh : « Elle domine l’écran »

Le retour de SebastiĂĄn Lelio aux mains de Florence Pugh : "Elle domine l'Ă©cran"

🍿 2022-10-29 03:05:25 – Paris/France.

C’est l’annĂ©e 1862 en Irlande. À peine une dĂ©cennie s’est Ă©coulĂ©e depuis la fin de la Grande Famine, qui a coĂ»tĂ© la vie Ă  un million de personnes et mis Ă  rude Ă©preuve la coexistence avec les Anglais. Il n’est donc pas facile de se rendre de Londres Ă  la troisiĂšme plus grande Ăźle d’Europe.

C’est ce que Lib Wright (Florence Pugh) souffre dans sa propre chair, une femme au passĂ© troublĂ© qui est convoquĂ©e dans une ville ferventement catholique aprĂšs qu’une fille n’a pas mangĂ© depuis quatre mois. Pour des raisons qui engendrent la confusion, l’appel la contemple, une infirmiĂšre, et aussi une religieuse. Pour ne rien arranger, la tĂąche qui lui est dĂ©lĂ©guĂ©e va Ă  contre-courant de son mĂ©tier : il n’a qu’à observer et rendre compte de ses conclusions Ă  un comitĂ© d’hommes.

L’émerveillement. (L Ă  R) Florence Pugh comme Lib Wright, KĂ­la Lord Cassidy comme Anna O’Donnell dans The Wonder. Cr Aidan Monaghan/Netflix © 2022

Ce personnage parsemĂ© de dilemmes et de dĂ©bats est le vĂ©hicule avec lequel l’histoire entre dans une sĂ©rie de questions qui ont Ă©veillĂ© la curiositĂ© de SebastiĂĄn Lelio. TroisiĂšme long mĂ©trage en anglais du cinĂ©aste d’Une femme fantastique, La merveille (El prodigio) est une adaptation du roman homonyme de l’écrivain Emma Donoghue. Un livre qu’il a lu pour la premiĂšre fois en 2017, lorsqu’il a Ă©tĂ© approchĂ© par les producteurs de DĂ©sobĂ©issance (2017), ses dĂ©buts dans le cinĂ©ma anglo.

« MĂȘme si je pensais que c’était un champ de mines pour adapter le film, Ă  cause des problĂšmes qu’il traite, Ă  cause de la gravitĂ© des problĂšmes qu’il traite, je n’arrivais pas Ă  me le sortir de la tĂȘte. Pour une raison quelconque, je suis retournĂ© vers elle, et bien, j’ai accepté », souligne-t-il. CulteĂ  propos d’un processus d’écriture auquel elle a Ă©tĂ© confrontĂ©e avec Donoghue elle-mĂȘme et l’Anglaise Alice Birch.

AprĂšs ĂȘtre passĂ© par les festivals de Toronto, San SebastiĂĄn et Londres, le film dĂ©barque ce jeudi 3 novembre dans une dizaine de salles du pays, celles qui ont acceptĂ© les deux semaines d’exclusivitĂ© accordĂ©es par Netflix, qui le lancera dans son catalogue mondial sur mercredi 16.

-DĂšs le premier instant il vous a semblĂ© que l’histoire de La merveille rĂ©sonnait de façon formidable dans le prĂ©sent ?

Oui, mis Ă  part le contexte politique dans lequel ça se passe, oĂč une infirmiĂšre anglaise se rend dans cette ville d’Irlande oĂč personne ne veut d’elle, presque comme dans un western, c’est une histoire sur les dynamiques de pouvoir de cette communautĂ©. Ils sont plongĂ©s dans une guerre narrative autour du cas de cette fille qui n’a pas mangĂ© depuis quatre mois, que tout le monde veut utiliser comme eau pour son moulin. (Ils cherchent) Ă  contrĂŽler le rĂ©cit et que cela devient en quelque sorte un pouvoir politique. Il m’a semblĂ© qu’au fond c’était un film sur le choc entre la raison et la pensĂ©e magique, ou la science et la religion, ou encore l’élasticitĂ© spirituelle et intellectuelle contre la rigiditĂ© et le fanatisme. C’est, en particulier ce dernier, ce qui m’a paru urgent aujourd’hui.

L’émerveillement. (L Ă  R) RĂ©alisateur/ScĂ©nariste SebastiĂĄn Lelio, Florence Pugh comme Lib Wright dans The Wonder. Cr Aidan Monaghan/Netflix © 2022

-Pour diverses raisons, vous avez fini par le diriger dans un monde d’aprĂšs pandĂ©mie, oĂč ces enjeux semblent plus urgents que jamais.

Je pense que ça a empirĂ©. En 2017, quand je l’ai lu, je me suis dit : il me semble que le monde va lĂ -bas. Et maintenant je pense que nous y sommes. Le roman Ă©tait une exploration du pouvoir de la fiction dans nos vies. Des histoires, des histoires qu’on se raconte sur soi, et des histoires qu’on co-crĂ©e et qu’on se raconte, pour le meilleur et pour le pire. Les histoires lient les sociĂ©tĂ©s et leur permettent de fonctionner dans certains cadres. En ce sens, la religion dans cette communautĂ© est une histoire qui a triomphĂ© et qui prĂ©vaut au moment oĂč se produisent les Ă©vĂ©nements que le film raconte. Mais la science, c’est aussi une autre histoire, c’est une autre maniĂšre de se rapporter Ă  la rĂ©alitĂ©, qui a Ă©galement Ă©tĂ© attaquĂ©e. Ce choc, entre le personnage de Florence Pugh, qui reprĂ©sente en quelque sorte la raison, et cette communautĂ© qui semble avoir trouvĂ© une vĂ©ritĂ© et ne semble pas disposĂ©e Ă  bouger de lĂ , et qui est prĂȘte Ă  dĂ©former la rĂ©alitĂ© pour convenir Ă  ceux qui qu’ils considĂšrent comme la vĂ©ritĂ©, ergo, le fanatisme, il m’a semblĂ© que c’était trĂšs 2022.

-Tu. Il a commentĂ© que la ville d’Irlande oĂč le film a Ă©tĂ© tournĂ© lui rappelait son enfance dans le sud du Chili. Quels sentiments cela a-t-il suscitĂ© en vous ?

Quand j’étais enfant, j’ai vĂ©cu dans plusieurs villes du Chili, plusieurs fois dans le sud. J’habitais Ă  Talcahuano. Également dans une ville au pied du volcan Antuco. Bien que ce ne soient pas les mĂȘmes endroits, il y a quelque chose de similaire dans ce sentiment de fin du monde que l’Irlande a aussi. Au moins au bout du monde lĂ -bas, lĂ  oĂč la nature est forte et prĂ©sente. Cela, mĂ©langĂ© au fait d’avoir grandi dans une dictature dans un pays catholique, Ă©tait la façon de m’autoriser Ă  raconter cette histoire. Car, au-delĂ  de la spĂ©cificitĂ© culturelle du moment que raconte La Merveille, les dynamiques de pouvoir qui y sont dĂ©crites pourraient ĂȘtre dites celles d’une dictature de petits hommes catholiques. Cela m’a rappelĂ© cette vibration que j’ai ressentie dans mon enfance.

-Florence Pugh est une actrice magnĂ©tique, peut-ĂȘtre la meilleure de sa gĂ©nĂ©ration. Lequel de vos emplois prĂ©cĂ©dents vous a convaincu qu’elle Ă©tait la bonne, et qu’avez-vous exigĂ© d’elle dans ce film ?

Je l’ai d’abord vue dans Lady Macbeth (2016), puis j’ai continuĂ© Ă  regarder ses films. Midsommar (2019) m’a Ă©poustouflĂ©. J’ai Ă©tĂ© impressionnĂ© par la capacitĂ© cristalline de contenir un film entier, ce qui n’est pas facile. C’est un concept que je n’aime pas beaucoup, mais bon, ça explique une partie du talent de certains acteurs et actrices, qui est de dominer l’écran, de remplir l’écran. Florence a ça. Mais ce qui m’intĂ©ressait aussi beaucoup chez elle, canalisant l’infirmiĂšre Lib Wright, c’est prĂ©cisĂ©ment ce qu’elle apporte avec elle, Ă  cause de la façon dont Florence est. Il a une intĂ©gritĂ© dans la vie, une sorte d’autoritĂ© morale naturelle, dont la camĂ©ra sait qu’elle est lĂ , et qui vient naturellement au personnage.

L’émerveillement. (L Ă  R) K’la Lord Cassidy comme Anna OÕDonnell, Tom Burke comme Will Byrne, Florence Pugh comme Lib Wright dans The Wonder. Cr Aidan Monaghan/Netflix © 2022

« C’est un film oĂč les pensĂ©es doivent ĂȘtre presque palpables, parce que nous pensons et relions les points avec, essayant de dĂ©masquer la tromperie, s’il y en a une. Par amour pour cette fille, il finit par commettre des actes pour le moins moralement complexes. Donc, cette intĂ©gritĂ© Ă©tait importante prĂ©cisĂ©ment pour que le spectateur puisse continuer Ă  marcher main dans la main avec elle, avec l’infirmiĂšre, malgrĂ© le fait qu’elle nous emmĂšne sur un terrain aussi moralement difficile.

-La merveille sortira dans certaines salles du pays deux semaines avant son arrivĂ©e sur Netflix, ainsi qu’aux États-Unis et ailleurs. Une dynamique qui se met en place de plus en plus frĂ©quemment, mĂȘme si toutes les chaĂźnes ne sont pas prĂȘtes Ă  accepter ce temps d’exclusivitĂ©. Pensez-vous que ce type de tension est sur le point d’ĂȘtre rĂ©solu ou le problĂšme peut-il persister ?

C’est difficile Ă  dire. Je pense que c’est dĂ©finitivement une tension, et il y a certainement un Ă©quilibre Ă  trouver, probablement une voie hybride. Il est aveugle de nier la vĂ©ritĂ© avĂ©rĂ©e de la rĂ©alitĂ© technologique que nous traversons. Et c’est aussi aveugle de penser que le cinĂ©ma va mourir maintenant, aprĂšs qu’il soit un peu moins mort depuis qu’il est nĂ©. Le son allait le tuer, puis la tĂ©lĂ©vision et la VHS, et maintenant Internet va le tuer


« Le cinĂ©ma est un langage et non un format, mais c’est sans aucun doute un moment de tension. Parce qu’une ville sans cinĂ©mas est inconcevable, personne ne veut qu’ils disparaissent, et en mĂȘme temps un film peut ĂȘtre sur des millions d’écrans sur une plateforme. Et peut-ĂȘtre, comme dans le cas de La merveille, existent Ă©galement au lieu de produit non existant, dans ce cas, de Netflix, car ce sont eux qui ont pariĂ© sur le film car personne d’autre ne voulait le faire. C’est donc un moment de grands paradoxes, de grandes tensions, dans lequel je crois qu’il faut continuer Ă  parler le langage du cinĂ©ma, il faut s’occuper du cinĂ©ma dans les salles, il faut le dĂ©fendre, bien sĂ»r, mais en mĂȘme temps on faut pas dĂ©chirer tant de vĂȘtements ».

Photo : Craig Gibson

-Discounting Algorithm, le court mĂ©trage musical qu’il a rĂ©alisĂ© au dĂ©but de la pandĂ©mie (partie de Homemade, sur Netflix), c’est son troisiĂšme long mĂ©trage consĂ©cutif Ă  l’étranger. Ressentez-vous l’urgence de retourner tourner au Chili ? Est-ce faisable aujourd’hui ?

Oui, j’ai vraiment envie de retourner tourner au Chili. J’ai un projet trĂšs cher sur lequel je travaille depuis quatre ans. Je ne sais pas si ce sera la prochaine chose que je ferai. Mais de toute façon
 Cela a Ă©tĂ© une Ă©tape. J’aimerais aller et venir, et j’espĂšre que cela pourra se faire plus naturellement bientĂŽt. La pandĂ©mie a Ă©galement retardĂ© un peu les plans et les a retardĂ©s. Mais je veux vraiment tourner au Chili. Je tiens beaucoup Ă  le faire. Et j’espĂšre pouvoir concilier les allĂ©es et venues.

SOURCE : Reviews News

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