Juan Carlos Rulfo et le "Pedro Paramo" Netflix

Juan Carlos Rulfo et le "Pedro Paramo" Netflix - Processus

😍 2022-10-02 20:30:13 – Paris/France.

Apparemment, le cinĂ©ma n’a pas Ă©tĂ© propice Ă  reflĂ©ter les multiples univers du rĂ©alisme magique dans la littĂ©rature, dans la mesure oĂč Gabriel GarcĂ­a MĂĄrquez lui-mĂȘme n’a pas trouvĂ© sĂ©duisante l’idĂ©e de filmer Cent ans de solitude. Et les versions autour du roman Pedro PĂĄramo, de Juan Rulfo, n’ont pas fonctionnĂ©. On annonce maintenant ce long mĂ©trage, le premier du directeur de la photographie Rodrigo Prieto, un film dans lequel le documentariste, fils du cĂ©lĂšbre Ă©crivain, raconte Traiter qui n’est pas intervenu, pour laisser « les mains libres » Ă  la crĂ©ativitĂ© d’une jeune gĂ©nĂ©ration.

MEXICO CITY (Processus).– AprĂšs les Ă©checs des prĂ©cĂ©dentes adaptations cinĂ©matographiques du roman de son pĂšre Pedro PĂĄramo, et l’annonce rĂ©cente que la plateforme Netflix travaille dĂ©jĂ  sur une autre version, dĂ©sormais aux commandes de Rodrigo Prieto, le cinĂ©aste Juan Carlos Rulfo peint sa ligne :

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« Je ne veux pas m’impliquer
 C’est difficile pour moi de le dire, mais la vĂ©ritĂ© est que je prĂ©fĂšre continuer Ă  travailler ailleurs, je verrai plus tard comment ça se passe avec Pedro PĂĄramo, je parie beaucoup lĂ -dessus gĂ©nĂ©ration parce qu’elle peut faire les choses en toute libertĂ©. »

Si son pĂšre (« le patron », Ă©voque-t-il) Ă©tait un solitaire, Juan Carlos Rulfo est un homme de son temps. Acceptez l’entretien avec Traiter voyageant Ă  travers les forĂȘts du nord de l’Allemagne, oĂč il a rĂ©alisĂ© son rĂ©cent film sur les mouvements de rĂ©sistance, avec sa collĂšgue cinĂ©aste Valentina Leduc. Quelques jours avant de se rendre en France pour prĂ©senter son documentaire tournĂ© pendant la pandĂ©mie, Lettres Ă  distance (https://youtu.be/-pT6fGALEZO), le rĂ©alisateur prend quelques minutes pour se parler via tĂ©lĂ©phone portable.

–Netflix a-t-il convoquĂ© la Fondation Juan Rulfo pour cette version de Pedro PĂĄramo ?

–Pas nĂ©cessairement Ă  la fondation, mais c’était une nĂ©gociation directe avec l’Agence littĂ©raire Carmen Balcells, qui est celle qui gĂšre les droits d’auteur, et ma mĂšre et la famille ont acceptĂ©, nĂ©gociant de la meilleure façon possible pour que les droits ne soient pas restez-y Ă  perpĂ©tuitĂ© avec Netflix.

«Mais c’était d’une maniĂšre trĂšs discrĂšte. Disons que ces accords se font en secret et sont dĂ©jĂ  faits ; mais tout s’est bien passĂ©, c’était quelque chose d’assez inhabituel de la part des gens de Netflix. Comme cette affaire de respect des droits progresse et cela me parait trĂšs bien.»

L’accord a eu lieu aprĂšs l’épidĂ©mie de covid. En aoĂ»t, la plateforme de Streaming et de tĂ©lĂ©vision pour l’AmĂ©rique latine a annoncĂ© le film dans son catalogue « Que MĂ©xico se vu », le qualifiant d' »engagement envers la culture mexicaine ». Il a ensuite soulignĂ© que le long mĂ©trage, actuellement en prĂ©-production, sera rĂ©alisĂ© par Rodrigo Prieto (le photographe mexicain primĂ© Ă  l’origine des films de Martin Scorsese, tels que Silence et The Irishman), tandis qu’Eugenio Caballero concevra le dĂ©cor.

« Rodrigo -dit Juan Carlos, nĂ© en 1964- Ă©tait avec moi au CCC, deux ou trois ans au-dessus de moi, c’est un collĂšgue trĂšs proche qui a extrĂȘmement bien rĂ©ussi. »

Concernant l’élection de Prieto en tant que directeur de Pedro PĂĄramo, il a dĂ©clarĂ©:

« Ça me semble bien – commence-t-il, pour ajouter vif –, c’est une aventure, partout oĂč vous le voyez ! Jouer avec le patron, eh bien – il rit –
 bonne chance ! Ce que j’aime vraiment, c’est que Rodrigo est de notre gĂ©nĂ©ration, tu sais ? Ce n’est pas un Arturo Ripstein, ce n’est pas un Jorge Fons, une autre gĂ©nĂ©ration de cinĂ©astes qui a bien fait avec Rulfo mais avec des rĂ©sultats prĂ©visibles.

Il illustre avec L’Empire de la fortune, que Ripstein a tournĂ© en 1986, basĂ© sur le texte de Rulfo El gallo de oro. ImmĂ©diatement, lancez-vous pour libĂ©rer la crĂ©ativitĂ© :

« Ce sera intĂ©ressant de voir ce que fait cette nouvelle gĂ©nĂ©ration qui est entre moi et ceux qui suivront. Je n’ai aucun Ă©lĂ©ment pour juger ce Pedro PĂĄramo de maniĂšre nĂ©gative, ni pour dire wow !, mais il y a de l’espoir de voir avec quoi il va jouer et que ce n’est pas le lieu commun, non ?

–Avez-vous parlĂ© avec Rodrigo Prieto de Pedro PĂĄramo ?

-Un peu, mais pas beaucoup. Je ne veux pas m’impliquer
 c’est une situation un peu compliquĂ©e pour moi parce que je ne veux pas sauter le pas et m’impliquer Ă  fond, parce qu’alors ce n’est pas
 objectif, tu sais ? Il vaut mieux les laisser tous seuls et les laisser proposer, dĂšs le casting. Il y a aussi Eugenio Caballero, qui Ă©tait dans Le Labyrinthe de Pan, et aussi dans le film Bardo de Iñårritu qui vient de se terminer et a Ă©tĂ© soutenu par Netflix. C’est un mec dĂ©bordĂ© dans ses propositions, il vous crĂ©e un dĂ©cor Ă  filmer, eh bien voyons ce qu’il fait.

En effet, le casting a Ă©tĂ© convoquĂ© le 14 aoĂ»t Ă  l’auditorium municipal d’Amacueca, et le gouvernement local a indiquĂ© sur Facebook que la bande sera filmĂ©e « dans certaines rĂ©gions de l’État de Jalisco » par la sociĂ©tĂ© de production Redrum. Trois jours avant, Netflix avait annoncĂ© le film lors d’une confĂ©rence de presse, dans le cadre de l’émission « Que MĂ©xico se se », Ă  laquelle Ă©taient prĂ©sents, entre autres, Rodrigo Prieto et Juan Carlos Rulfo. Le 10 septembre, le gouvernement de San Luis PotosĂ­ a publiĂ© un bulletin dans lequel il accueillait les auditions pour le casting au MusĂ©e du masque de la capitale. La correspondante de Process Ă  Guanajuato, VerĂłnica Espinosa, le secrĂ©taire au Tourisme de PotosĂ­, Francisco Reyes Novelo, a informĂ© que le film serait tournĂ© sur place dans des zones dĂ©sertiques des hautes terres, dans la capitale et Ă  Real de Catorce.

Cent ans avec Juan Rulfo, une série réalisée par Juan Carlos Rulfo pour la plateforme Prime Video, est saluée depuis 2020 (voir interview de Columba Vértiz sur https://www.proceso.com.mx/cultura/2020/11/ 28/ ).

Deux landes stériles

En avril 1985, l’écrivain et journaliste de Tijuana Federico Campbell (1941-2014) Ă©crivait dans « Le silence de Rulfo : 30 ans aprĂšs sa publication, Pedro PĂĄramo maintient vivante la question du pouvoir mexicain » (Proceso 439) :

Peut-ĂȘtre parce qu’il s’agit d’un mĂ©dia accessible aux aveugles, la radio franco-suisse, de GenĂšve, rĂ©alise en 1972 la meilleure adaptation de Pedro PĂĄramo sur un autre mĂ©dia.

Le roman de Juan Rulfo a Ă©tĂ© transformĂ© en film en 1966, mettant en vedette l’acteur et homme politique californien John Gavin ; une autre tentative, avec la star de Manuel Ojeda, s’est produite une dĂ©cennie plus tard. Les deux versions du film ont Ă©chouĂ© et Campbell a offert une explication, ainsi :

Peut-ĂȘtre pour avoir exhibĂ© le visage – pour l’avoir dĂ©coupĂ©, fixĂ©, identifiĂ© – les deux prĂ©tentions cinĂ©matographiques qui ont Ă©tĂ© menĂ©es, l’une par Carlos Velo, Pedro PĂĄramo, et l’autre par JosĂ© Bolaños, Pedro PĂĄramo, l’homme du Croissant


Pour Juan Carlos Rulfo, « l’énorme complexitĂ© des personnages » prĂ©sente un dĂ©fi prodigieux.

À son tour, Campbell a tentĂ© de rĂ©pondre Ă  l’énigme de savoir qui est le vrai Pedro PĂĄramo, Ă  travers les mots suivants :

Son absolutisme cacique ne le dispense pas d’ĂȘtre « humain », comme le meurtrier qui, aprĂšs avoir tirĂ© sur quelqu’un, s’émeut de l’invaliditĂ© d’un chat. Et cela peut ĂȘtre toutes les reprĂ©sentations en une seule, lĂ©gale ou extralĂ©gale, de Guadalupe Victoria Ă  chacun –tout en un : un Porfirio DĂ­az Ă  50 tĂȘtes– des prĂ©sidents suivants.

L’irruption de Juan Carlos Rulfo au cinĂ©ma, avec des films comme El Abuelo Cheno y otroshistorias (1995) et Del olvido al no me memoria (1999), a montrĂ© un rĂ©alisateur de documentaires qui, selon les critiques, prouve que les paroles de son pĂšre peuvent apporter leur magie fidĂšle au grand Ă©cran.

–Les prĂ©cĂ©dentes adaptations de Pedro PĂĄramo ont Ă©tĂ© malheureuses, dommage puisque Juan Rulfo Ă©crivait pour le cinĂ©ma et adorait la photographie


– Je crois, comme vous le dites, qu’emmener Pedro PĂĄramo au cinĂ©ma a Ă©tĂ© compliquĂ©, c’est le mal des temps que cette gĂ©nĂ©ration de cinĂ©astes a dĂ» traverser. John Gavin Ă©tait Ă  la fin de l’ñge d’or du cinĂ©ma mexicain, essayant de ne pas laisser le patron derriĂšre lui, car il avait dĂ©jĂ  beaucoup travaillĂ© au cinĂ©ma et il a Ă©tĂ© invitĂ© Ă  plusieurs reprises. Par exemple, dans Wounded Dove [1962]avec El Indio FernĂĄndez, ce genre de cinĂ©ma


Et d’autre part il y avait le cinĂ©ma le plus indĂ©pendant :

« Celui qu’il a fait avec RubĂ©n GĂĄmez [La fĂłrmula secreta, 1964]disons, ou avec Rafael Corkidi et Antonio Reynoso dans la proposition d’El despojo [1960], je pense que c’est celui que mon pĂšre aurait le plus aimĂ© faire, sauf que l’argent et les intentions Ă©taient du cĂŽtĂ© de cet autre groupe du cinĂ©ma commercial. En ce sens, Rulfo a pensĂ© : ‘Non, ça ne va pas comme ça’
 Un cinĂ©ma linĂ©aire a Ă©tĂ© fait.

Et l’histoire de Pedro PĂĄramo n’est ni horizontale ni verticale, « il y a beaucoup de plans qui ne sont que littĂ©raires, mais en mĂȘme temps ils sont trĂšs cinĂ©matographiques, quelque chose de trĂšs contradictoire ». Sa voix grandit en arguments :

«Donc, cette libertĂ© et ce jeu que vous devez avoir avec la cinĂ©matographie commencent tout juste Ă  ĂȘtre gĂ©rĂ©s et, espĂ©rons-le, dans ce sens, il y a la libertĂ© crĂ©ative de l’essayer. C’est pourquoi je dis que je ne veux pas m’impliquer ou juger, mais cela me rend trĂšs courageux pour Rodrigo Prieto d’essayer de le faire. Et aussi ceux de Netflix, vous savez, allez, je sais qu’ils veulent avoir de solides possibilitĂ©s commerciales en ayant un Oscar en prĂ©paration, je dis : Rodrigo Prieto a Ă©tĂ© nominĂ©, il est Ă  l’AcadĂ©mie, il a toutes ces rĂ©fĂ©rences , comme on dit, pour sortir le film et avoir ces premiĂšres impressions de « attendons le film avec impatience ». Et d’un autre cĂŽtĂ©, on va aussi voir comment se passe l’adaptation, je pense que ça devrait ĂȘtre beaucoup plus risquĂ© et libre dans certaines choses. »

– Qu’est-ce que le Pedro PĂĄramo a Ă©choué  de Bolaños ?

-Je pense que peut-ĂȘtre que ça aurait marchĂ© plus s’il n’y avait pas eu, une fois de plus, qu’ils se soient penchĂ©s sur cette question de l’obscurantisme du cinĂ©ma des annĂ©es 70
 Avec Rodrigo Prieto sur Netflix ça s’ouvre en montrant comment le cinĂ©ma libre peut ĂȘtre dans toutes ses facettes , Ă  la fois commerciales et crĂ©atives, pour mener Ă  bien cette proposition de Pedro PĂĄramo.

Cela aide peut-ĂȘtre Ă  comprendre la rĂ©alitĂ© nationale complexe, conclut-il :

« Je dis toujours qu’on ne se connaĂźt pas, qu’on a du mal Ă  se regarder et qu’on finit par faire des choses assez sombres, trop colorĂ©es. C’est peut-ĂȘtre le moment de s’exercer avec l’histoire et avec les histoires du cinĂ©ma pour mesurer l’ampleur de la libertĂ© dont nous disposons.

ParallĂšlement Ă  Pedro PĂĄramo, « Que MĂ©xico se se » adaptera Hurricane Season, un roman de Fernanda Melchor, avec la cinĂ©aste Elisa Miller, ainsi que Ruido, de Natalia BeristĂĄin, avec les actrices Julieta Egurrola et Teresa Ruiz. Il est mĂȘme prĂ©vu de porter le roman Cent ans de solitude de GarcĂ­a MĂĄrquez sur le petit Ă©cran de Netflix dans une sĂ©rie, avec une production exĂ©cutive par les fils du laurĂ©at du prix Nobel, Rodrigo et Gonzalo.

Reportage publiĂ© le 25 septembre dans l’édition 2395 du magazine Traiter dont l’édition numĂ©rique peut ĂȘtre achetĂ©e sur ce lien.

SOURCE : Reviews News

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