« C’est tellement Ă©tranger, je n’ai jamais rien entendu de tel »: le collectif folk Heilung sur l’enregistrement de la plus ancienne chanson du monde

đŸŽ” 2022-08-18 17:00:00 – Paris/France.

Il y a environ 300 000 ans (plus ou moins quelques millĂ©naires), le larynx humain est tombĂ© vers le bas, une avancĂ©e Ă©volutive aussi vitale pour nous sĂ©parer des singes que le dĂ©veloppement de pouces opposables et d’un grand cortex cĂ©rĂ©bral. Cela signifiait que nos gorges s’agrandissaient, ce qui nous permettait d’étendre les sons que nous pouvions Ă©mettre au-delĂ  des hululements et des hurlements animaliers. Soudain, nous pouvions parler. On pourrait dĂ©velopper un vocabulaire. Nous pourrions chanter.

Ce dĂ©veloppement a marquĂ© la naissance de la musique, mais nous ne connaissons vraiment que les dĂ©veloppements relativement rĂ©cents de cette Ă©norme histoire. Le plus ancien instrument de musique connu au monde – une flĂ»te nĂ©andertalienne taillĂ©e dans l’os d’un ours, dĂ©couverte en 1995 dans une grotte slovĂšne – n’a que 50 000 ans. Le morceau de musique Ă©crite le plus ancien est bien plus jeune : un vieux de 4 000 ans. Ce qu’il en reste n’est guĂšre plus que des notes sur la façon d’accorder une lyre – certainement pas assez pour que quiconque en tire une mĂ©lodie.

Pour trouver la plus ancienne chanson complĂšte connue, il suffit de regarder 3 400 ans en arriĂšre. ComposĂ© de paroles, de notation musicale et d’instructions d’accord pour une lyre babylonienne gravĂ©e dans une tablette d’argile, il s’appelle Hymn to Nikkal, ou Hurrian Hymn No 6. Les archĂ©ologues l’ont trouvĂ© au dĂ©but des annĂ©es 1950 – aux cĂŽtĂ©s de prĂšs de trois douzaines d’autres hymnes hurriens incomplets. – lors d’une fouille au palais royal d’Ugarit dans l’actuel nord de la Syrie.

Bien qu’il s’agisse d’une chanson complĂšte, Hymn to Nikkal a fait l’objet de controverses depuis sa publication intĂ©grale en 1968. La plupart des dĂ©saccords portent sur la façon de la jouer : la langue hourrite dans laquelle la chanson a Ă©tĂ© Ă©crite mystifie encore les archĂ©ologues. C’est un dĂ©fi que le collectif de folk expĂ©rimental germano-nordique Heilung a relevĂ© avec son troisiĂšme album Ă  paraĂźtre, Drif.

Aussi vieux que le temps
 Heilung se produisant à Berlin en 2019. Photographie : Frank Hoensch/Redferns

« Nous laisserons la bataille scientifique aux scientifiques », dĂ©clare l’instrumentiste et producteur Christopher Juul. « Vous trouverez cinq versions diffĂ©rentes de cette chanson de cinq personnes diffĂ©rentes. La façon dont nous Ă©crivons de la musique n’est jamais du point de vue de : « Nous avons la rĂ©ponse ; c’est exactement comme ça. Ce que nous voulons faire, c’est crĂ©er une atmosphĂšre oĂč vous pouvez sentir comment c’était [in ancient times].”

Heilung sait de quoi ils parlent quand il s’agit de musique ancienne. Juul et la chanteuse Maria Franz se sont rencontrĂ©s par le biais de sociĂ©tĂ©s de reconstitution viking et ont formĂ© Heilung aux cĂŽtĂ©s de Kai Uwe Faust, un tatoueur d’inspiration viking, en 2014. Depuis lors, le groupe s’est fixĂ© pour objectif « d’amplifier l’histoire ». Leurs deux prĂ©cĂ©dentes sorties en studio, Ofnir et Futha, ressuscitent la musique des cultures viking, de l’ñge du fer et de l’ñge du bronze, inspirĂ©es en partie par une vaste bibliothĂšque d’artefacts et de textes appartenant Ă  Franz, qui est Ă©galement l’archiviste du groupe – et leurs concerts s’étendent cette fascination historique pour leur thĂ©ĂątralitĂ© costumĂ©e et leurs files d’attente de la taille d’une tribu.

« Je pense que nous pouvons apprendre quelque chose en regardant en arriĂšre », dĂ©clare Juul, s’exprimant aux cĂŽtĂ©s de Franz lors d’un appel vidĂ©o depuis son home studio Ă  Copenhague. «Une grande partie de ce que nous faisons consiste Ă  respecter le sol sous nos pieds et, aussi, certaines Ă©motions humaines fondamentales qui, je pense – si vous ĂȘtes trop occupĂ©, vivant dans cette rĂ©alitĂ© trop mouvementĂ©e – pourraient vous perdre. Remonter le temps ralentit Ă©galement le temps.

Cette prĂ©dilection pour les sons anciens prend tout son sens lorsque le co-chanteur Franz rĂ©vĂšle que Juul Ă©tait le fils d’un goĂ°i : un prĂȘtre du paganisme nordique. « En Scandinavie, c’est toujours une religion acceptĂ©e de travailler dans le cadre des anciennes croyances », dit Juul. « Mon pĂšre a mariĂ© des gens et baptisĂ© des enfants. Nous avons fait le blĂłt « – un rituel paĂŻen nordique pour marquer le dĂ©but des semestres d’étĂ© et d’hiver – » deux fois par an. C’était tout Ă  fait normal. »

Franz a grandi prĂšs du parc national de Borre : un cimetiĂšre viking dans le sud de la NorvĂšge. « Ces motifs sont la raison pour laquelle je suis ce que je suis aujourd’hui », dit-elle. « C’est un bel endroit. J’ai toujours rĂȘvĂ© de la façon dont les Vikings vivraient lĂ -bas et s’habilleraient, comment ils tomberaient amoureux et comment ils se battraient pour leur village.

Sur Drif, Heilung Ă©largit ses horizons au-delĂ  de son paysage habituel de cultures nordiques et germaniques. Il y a une sĂ©rĂ©nade appelĂ©e Tenet, qui fredonne des mĂ©lodies folkloriques sĂ©culaires inspirĂ©es de la place Sator, un ancien palindrome romain fouillĂ© dans divers endroits d’Europe, et qui a inspirĂ© le film Tenet de Christopher Nolan. La chanson Urbani a Ă©tĂ© chantĂ©e par des soldats de l’armĂ©e romaine, tandis que Buslas Bann est une malĂ©diction islandaise du XIIIe siĂšcle.

Regardez la vidĂ©o d’Anoana du nouvel album Drif

Nikkal, l’interprĂ©tation de Heilung de Hymn to Nikkal, est l’avant-derniĂšre piste de l’album. Le groupe l’a basĂ© sur l’article acadĂ©mique de 1984 A Hurrian Musical Score from Ugarit: The Discovery of Mesopotamian Music de Marcelle Duchesne-Guillemin, une pionniĂšre de la thĂ©orie de la musique ancienne. Elle croyait que la piĂšce contenait des intervalles qui, ensemble, forment une harmonie en deux parties. C’était parfait pour Heilung, avec leurs deux chanteurs. Le rĂ©sultat est trois des minutes les plus hypnotiques de Drif, aussi surnaturelles que belles.

Un fait connu Ă  propos de la chanson est sa dĂ©dicace Ă  Nikkal : l’épouse du dieu de la lune adorĂ©e dans l’ancien Moyen-Orient. « La plupart des chansons sont crĂ©Ă©es comme un moyen de se souvenir », explique Juul. «Nous l’avons vu en Islande, oĂč les gens ont composĂ© ces chansons incroyablement longues qui se rĂ©pĂštent encore et encore, crĂ©Ă©es comme un moyen de dĂ©tailler une lignĂ©e. Je suis presque sĂ»r qu’une chanson comme Hymn to Nikkal aurait Ă©tĂ© Ă©crite pour enseigner aux adultes et aux enfants ce sujet : cette dĂ©esse de la lune.

Pendant des millĂ©naires, l’histoire de la musique s’est nourrie uniquement du bouche Ă  oreille. Les gĂ©nĂ©rations ont toujours transmis des chansons Ă  la gĂ©nĂ©ration suivante, qu’elles soient parlĂ©es, Ă©crites ou enregistrĂ©es. Alors, y a-t-il une ligne directrice – y a-t-il des Ă©chos de Hymn to Nikkal dans la musique populaire moderne ? Franz rit. « Non. Le rythme de ce texte est tellement bizarre; c’est tellement Ă©tranger. Je n’ai jamais rien entendu de tel. »

Ainsi, pour Heilung, la prĂ©servation de l’Hymne Ă  Nikkal est d’autant plus importante. « Mon souhait est que les gens ressentent vraiment l’émotion derriĂšre les piĂšces anciennes que nous rĂ©interprĂ©tons », poursuit-elle, « parce que nous voyageons Ă  travers tout le spectre de l’émotion humaine. La musique est l’un des outils que nous pouvons utiliser pour nous reconnecter avec nous-mĂȘmes, notre environnement et les gens qui nous entourent.

Drif sort sur Season of Mist le 19 août.

SOURCE : Reviews News

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