« Beaches & Canyons » de Black Dice fĂȘte ses 20 ans

đŸŽ” 2022-09-01 15:40:00 – Paris/France.

L’un des outils essentiels de la musique Ă©lectronique est le mĂ©langeur, oĂč le curseur sur la boĂźte vous emmĂšne de 0 Ă  10. DĂ©placez-le tout en bas et vous obtenez le silence, et vous n’écoutez que le bourdonnement de la piĂšce. DĂ©placez-le au maximum et vous obtenez violence et destruction, haut-parleurs cassĂ©s et tympans brisĂ©s et psychĂ©s endommagĂ©s. Ensuite, il y a le crossfader, oĂč vous mĂ©langez deux signaux dans des proportions variables. Mettez un bruit brun saturĂ© noueux avec des ondes carrĂ©es coupĂ©es dans un canal, puis, disons, le son apaisant de la boĂźte Ă  musique d’un enfant tournant lentement dans l’autre, et vous obtenez une vaste gamme de sensations qui peuvent ĂȘtre gĂ©rĂ©es en faisant glisser un fader de gauche Ă  droite.

Plages & Canyons, sorti il ​​y a 20 ans ce mois-ci, est l’endroit oĂč le groupe de Brooklyn Black Dice a trouvĂ© le cadre parfait entre deux pĂŽles. S’ils avaient poussĂ© lĂ©gĂšrement dans une direction, ils auraient peut-ĂȘtre atterri sur quelque chose de plus proche de leurs sorties collaboratives du dĂ©but des annĂ©es 2000 avec Wolf Eyes, qui sont denses et merveilleuses mais ne prĂ©tendent jamais essayer d’ĂȘtre jolies; s’ils l’avaient poussĂ© un peu plus loin dans l’autre, ils auraient pu atterrir quelque part plus prĂšs du New Age qui reviendrait dans la conversation dans la dĂ©cennie suivante, lorsque Laraaji a connu une rĂ©surgence de carriĂšre et que tout le monde dans votre entourage immĂ©diat pourrait vous dire la diffĂ©rence entre salutations au soleil et pose de bĂ©bĂ©. Mais sur Plages & Canyons ils ont trouvĂ© un point mĂ©dian idĂ©al, le cadre oĂč la musique permettait tout Ă  la fois, oĂč la beautĂ© et la laideur se combinaient dans une troisiĂšme qualitĂ© tout compris.

Dans les annĂ©es 2000, la qualitĂ© dĂ©terminante de Black Dice n’était pas le bruit, le drone ou l’abstraction, c’était le changement. Au cours des annĂ©es de formation du groupe Ă  la fin des annĂ©es 90 Ă  Providence, Rhode Island, oĂč le guitariste Bjorn Copeland a rencontrĂ© le batteur et chanteur Hisham Bharoocha – tous deux Ă©taient des artistes visuels – on pouvait en toute confiance Ă©tiqueter Black Dice comme une tenue hardcore dĂ©chiquetĂ©e qui pourrait ĂȘtre bizarre et arty Ă  la bords. Ils Ă©taient l’un des nombreux groupes importants qui ont Ă©mergĂ© de cette scĂšne, qui Ă©tait basĂ©e autour d’un lieu appelĂ© Fort Thunder, y compris Lightning Bolt et d’autres groupes qui enregistreraient pour le label Load. Mais au moment oĂč Black Dice a dĂ©mĂ©nagĂ© Ă  New York aprĂšs l’arrivĂ©e du frĂšre de Bjorn, Eric et Aaron Warren, ils sont entrĂ©s dans une longue pĂ©riode d’expĂ©rimentation oĂč chaque sortie semblait introduire un nouveau groupe. La piĂšce maĂźtresse glorieuse de cette course crĂ©ative Ă©tait le LP 2002 Plages & Canyons, qui a trouvĂ© toutes les tensions esthĂ©tiques dans le travail du quatuor tendues jusqu’au point de rupture. C’était beau et laid, prĂ©cis et dĂ©sordonnĂ©, silencieux et bruyant, et cela a contribuĂ© Ă  dĂ©finir la musique expĂ©rimentale au cours d’une riche dĂ©cennie de dĂ©veloppement.

Pensez Ă  la scĂšne musicale new-yorkaise post-11 septembre et les premiers groupes qui me viennent Ă  l’esprit sont les Strokes et LCD Soundsystem, mais c’était aussi une pĂ©riode riche pour les musiciens qui n’avaient pas de projets sur le grand public. Black Dice a commencĂ© Ă  enregistrer Plages & Canyons pendant quelques jours en dĂ©cembre 2001 avec Nicolas Vernhes Ă  Rare Book Room, un studio qui dominera l’underground pendant le reste des annĂ©es 2000. Un single Ă  deux titres, VallĂ©e perdue, Ă©tait un autre pilier reliant le thrash punk explosif des premiers jours aux instrumentaux plus expansifs Ă  venir. « Plages & Canyons Ă©tait de devenir radical avec nos idĂ©es d’écriture de chansons: ce qui constituait une partie, ce qui constituait un instrument, ce qui constituait une chanson », a dĂ©clarĂ© plus tard Warren Ă  The AV Club. «Avant cela, nos chansons Ă©taient courtes et elles ressemblaient essentiellement Ă  des chansons hardcore. Nous avons en quelque sorte fait exploser cette notion et avons rendu nos chansons trĂšs longues et trĂšs lentes. Nous avons essayĂ© d’introduire beaucoup de mĂ©lodies et de sons de type New Age – de la merde qui Ă©tait totalement Ă©trangĂšre au monde hardcore.

Black Dice enregistrĂ© Plages & Canyons sans savoir qui le lĂącherait. Dans une interview de Pitchfork en 2002 avec Andy Beta, ils ont discutĂ© de l’anxiĂ©tĂ© des sessions, d’une combinaison de tensions inter-groupes et de l’inquiĂ©tude qu’ils allaient dans le trou financiĂšrement en payant eux-mĂȘmes le temps de studio. Ils Ă©taient amis avec les gens du cercle de DFA, et le label les a approchĂ©s au sujet d’un futur disque, ignorant qu’ils en avaient rĂ©cemment terminĂ© un par eux-mĂȘmes. Black Dice leur a envoyĂ© Plages & Canyons et l’éditeur a acceptĂ© de le publier.

Alors que DFA Ă©tait dans une pĂ©riode d’ascension – les premiers singles de LCD, The Rapture et Juan MacLean sont tous arrivĂ©s en 2002 – Black Dice Ă©tait une signature rusĂ©e qui montrait que le label pensait au-delĂ  du rock dansant. Le milieu du centre-ville de New York du dĂ©but des annĂ©es 80 parcourait la culture musicale underground, et cette scĂšne Ă©tait dĂ©finie par sa large gamme de sons et d’esthĂ©tiques. De l’extĂ©rieur, il semblait que DFA revendiquait sa position dans cette lignĂ©e aux grandes oreilles en travaillant avec Black Dice.

Plages & Canyons en un seul mot ? exaltant: C’est un disque qui fait battre mon sang et me donne des frissons dans le dos, parfois parce que je suis en admiration devant sa beautĂ© et parfois parce qu’il me fait peur. Avec la musique instrumentale, les titres d’albums et les pochettes peuvent prendre une importance dĂ©mesurĂ©e et le pouvoir de suggestion peut ĂȘtre fort. Je ne suis pas Ă  l’abri, et ce disque, sans aucun doute, me fait penser Ă  la nature. L’écouter peut donner l’impression de se tenir sur une falaise et de contempler un paysage magnifique tout en ressentant un malaise simultanĂ© Ă  l’idĂ©e d’ĂȘtre trop prĂšs du bord, Ă  quelques pas de tomber Ă  mort.

Cela ressemble Ă©galement Ă  un systĂšme mĂ©tĂ©orologique, un roulement potentiellement destructeur que vous ne pouvez pas vous empĂȘcher d’admirer pour sa beautĂ©. Les deux premiĂšres pistes sont crĂ©Ă©es Ă  partir d’une palette similaire et je les considĂšre comme une paire. AprĂšs l’ouverture « Seabird », qui mĂ©lange des gargouillements Ă©lectroniques avec des drones de basse tremblants, vient « Things Will Never Be The Same », un tourbillon de cymbales prĂ©cipitĂ©es, de dubby, de synthĂ©s en Ă©cho, de craquements indĂ©terminĂ©s et de carillons lointains. Il flotte, Ă©voquant des nuages ​​sombres avec des Ă©clairs se matĂ©rialisant Ă  l’horizon. La batterie de Bharoocha se fige presque en un rythme de Bo Diddley, s’inspirant clairement du grondement droit de Mo Tucker, puis d’une voix hurlante qui ressemble au gĂ©missement du bĂ©bĂ© de TĂȘte de gomme s’il avait vĂ©cu assez longtemps pour devenir un adolescent dĂ©rangĂ©. Le hurlement Ă©voque la douleur et le traumatisme de la naissance et de la mort Ă  parts Ă©gales – deux passages de la vie aprĂšs lesquels les choses ne sont vraiment jamais les mĂȘmes – et il ne manque jamais d’augmenter ma tension artĂ©rielle.

Le thĂšme de la nature est rendu explicite deux morceaux plus tard sur « Endless Happiness », qui pendant ses neuf premiĂšres minutes est un jam angulaire pour synthĂ© sifflant et percussions et pour ses six derniers est le son des vagues clapotant sur le rivage. Il y a quelque chose de lo-fi et d’étrange dans l’enregistrement, presque comme s’il s’agissait du rĂȘve ocĂ©anique d’un appareil Ă©lectronique, semblable aux paysages sonores manufacturĂ©s trouvĂ©s sur le Environnements enregistrements. « The Dream Is Going Down » et le dernier « Big Drop » mettent en conflit la sensibilitĂ© instrumentale grand Ă©cran de cet album avec les dĂ©buts punk de Black Dice. Les sections douces sont interrompues par des explosions de batterie et des voix hurlĂ©es, comme si un groupe de hardcore enfonçait la porte d’une session de Popol Vuh pour un film de Herzog.

Black Dice et Animal Collective Ă©taient des groupes frĂšres tout au long des annĂ©es 2000, et sur les deux morceaux, vous pouvez entendre Ă  quel point ils Ă©taient Ă©troitement liĂ©s. En juin 2003, Animal Collective sortira Voici l’Indien – depuis renommĂ© Arche – et cet ensemble peut ĂȘtre entendu comme leur version de ce disque de Black Dice, bien que la batterie de Panda Bear n’ait jamais pu Ă©galer la puissance propulsive de celle de Bharoocha. Les chants sauvages et les cris de « Big Drop » ressemblent Ă©trangement Ă  la musique que les amis de Black Dice faisaient Ă  cette Ă©poque.

Quand j’écoute Plages & Canyons maintenant, je me souviens du moment du tournant du millĂ©naire oĂč mon esprit a Ă©tĂ© complĂštement Ă©poustouflĂ© par le travail de la fin des annĂ©es 90 de Boredoms. Le groupe japonais jette une ombre sur la musique expĂ©rimentale des annĂ©es 2000. Super Racines 7, Super Aeet Vision CrĂ©ation Newsunainsi que les enregistrements de remix ultĂ©rieurs de ce dernier, reprĂ©sentaient pour moi une nouvelle percĂ©e dans le rock, oĂč la lourdeur imposante, le farceur dadaesque, le folk dĂ©licat et le psychĂ©dĂ©lisme se sont tous rĂ©unis dans un esprit de libĂ©ration communautaire.

Pendant un certain temps, j’ai travaillĂ© dans l’illusion que Boredoms et ses adeptes, y compris Black Dice, changeraient le rock pour toujours, et la popularitĂ© croissante d’Animal Collective suggĂ©rait que c’était possible. En 2007 et 2008, Bharoocha a Ă©tĂ© directeur musical de deux grandes expĂ©riences de rythme dans le bruit par Boredoms : 77 Boa Drum et 88 Boa Drum, des concerts mettant en vedette le nombre de batteurs figurant dans le titre. Fin 2009, Marc Masters a Ă©crit un essai pour Pitchfork intitulĂ© The Decade In Noise qui suivait les dĂ©veloppements au cours des neuf annĂ©es prĂ©cĂ©dentes, et il laissait Ă©galement entendre que nous pourrions ĂȘtre Ă  l’aube d’une nouvelle Ăšre. Mais hĂ©las, cela s’est avĂ©rĂ© ĂȘtre une fin plus qu’un dĂ©but, et le courant dominant est passĂ© Ă  autre chose. Il y a autant de travaux expĂ©rimentaux brillants et rĂ©volutionnaires que jamais, mais les changements de goĂ»t et de mĂ©dias dans les annĂ©es 2010 l’ont poussĂ© une fois de plus Ă  la marge.

À travers tout cela, Black Dice a continuĂ©. Ils feraient un disque de plus avec Bharoocha, l’excellent de 2004 Conforts de crĂ©ature, puis il est parti pour former Soft Circle tandis que le trio restant s’enfonçait plus profondĂ©ment dans les synthĂ©s. Au fil du temps, leur approche s’est transformĂ©e en une cacophonie urbaine Ă©trange et funky, une version de Miles Davis Dans le coin jouĂ© par un trio de passionnĂ©s d’électronique de table. Depuis, Black Dice n’a pas fait d’album moins que bon, mais aucun d’entre eux ne sonnait comme Plages & Canyonsqui 20 ans plus tard brĂ»le encore avec possibilitĂ©.

Plages & Canyons par Black Dice

SOURCE : Reviews News

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