Andy Warhol ressuscite sur Netflix

Andy Warhol ressuscite sur Netflix - LetrasLibres.com

🍿 2022-05-19 12:53:20 – Paris/France.

Je regarde une fois et demie la sĂ©rie documentaire de Netflix sur le agendas par Andy Warhol. Ou me voit-elle ? Comme tout le monde n’aime pas Warhol, dĂšs que je dis cela, ils le rabaissent un peu et nous changeons de sujet. Ils Ă©vitent l’allusion. J’avais Ă©crit quelque chose de lyrique destroy sur l’Ukraine et la peste et l’inflation, qui sont aussi ou d’abord les Ă©gos (et je suis le premier) et la destruction mentale (idem). Je me tourne donc vers cette docu-sĂ©rie sur le rugueux (rugueux, rugueux) Warhol qui semble ou Ă©tait d’un autre monde donc pourtant ancrĂ© dans celui-ci. Ses journaux sont sans cƓur, durs, dĂ©goĂ»tants (Jasco c’est un mot aragonais en drae sec, dur). En cela aussi, il a anticipĂ© le monde Ă  venir, celui que nous avons entre les pattes : plus de monde d’aujourd’hui que de celui du mois dernier, telle est la vitesse des atrocitĂ©s. Les agendas ils vous laissent mort, comme peut-ĂȘtre il Ă©tait ou ressentait, le vrai zombie qui veut ĂȘtre une machine pour ne pas ressentir ni souffrir. Les sĂ©ries sont des journaux intimes ornĂ©s de dizaines de tĂ©moignages en cascade. Tous les amis, les gens qui l’aimaient et qui travaillaient avec lui, pour lui, dans son emporium de renommĂ©e et d’art au temps de la reproduction technique, comme Benjamin aurait apprĂ©ciĂ©/dĂ©solĂ© de voir ce zombie, le fragile le plus coriace et le plus dĂ©goĂ»tant de tous les Usages darwiniens. RamĂłn d’Espagne l’explique parfaitement dans Chronique mondiale.

Je regarde la sĂ©rie comme presque toujours, sans son, parfois morte (presque tout le monde dĂ©jĂ  dans cette non-vie donc parfois –coupable– joyeux). Je vois Warhol illustrĂ© par le relief sĂ©miotique de RosalĂ­a, qui est hĂ©ritiĂšre – comme tout le monde – du warholisme, petite-fille d’Andy : la cĂ©lĂ©britĂ© est dure mais elle donne Ă  manger, argumente RosalĂ­a dans maman. saoko papa saoko C’est ma devise face Ă  la psychose qui depuis 2008 dĂ©vaste l’environnement et la flore intestinale (aujourd’hui le biome Motobiomami). Je vois Warhol parfois mort et sans son, c’est pourquoi je me fiche du dĂ©tail de lui avoir donnĂ© une voix robotique, algorithmique, pour qu’il semble qu’il parle, qui Ă©tait dĂ©jĂ  un roboticien professionnel. Une rĂ©surrection en voix. Ce dĂ©tail l’aurait ravi : c’est enfin une machine authentique, des images d’archives, ses quinze mille minutes de gloire, ses amis/employĂ©s (les amours mortes avant lui, Basquiat quelques mois plus tard), avouant qu’ils n’y ont jamais pĂ©nĂ©trĂ© carapace qu’il exhibait devant les questions de la presse, ses Ă©lucubrations et monosyllabes, son nĂ©ant orageux, son silence oraculaire. Tout a rebondi et c’est pourquoi maintenant il rebondit. Face aux interdictions, aux annulations, Ă  la censure (en son temps elles Ă©taient dĂ©vastatrices, bien que maintenant les nĂŽtres nous paraissent beaucoup plus grandes car nous croyons toujours au progrĂšs, et Ă  cause de l’egotrip), il s’est enfermĂ© dans l’énigme zĂ©ro-zĂ©ro. Face Ă  cette Ă©vasion de soi, les tĂ©moignages sont approximatifs : on pourrait peut-ĂȘtre en dire autant de n’importe quelle vie. Quand des proches se rĂ©unissent pour un hommage, quand un documentaire ou un livre est enregistrĂ©, rien ne coĂŻncide jamais et il reste quatre idĂ©es/phrases consensuelles, une effigie inconnue. Warhol a poussĂ© cela Ă  la limite et cet hĂ©ritage de kalĂ©idoscopes vides, peut-ĂȘtre inĂ©vitable, est son objet trouvĂ©. Les tirs de Valerie Solanas se sont terminĂ©s par L’usine et ses folles sĂ©ances tournĂ©es en direct. Ses films sont comme s’ils n’existaient pas. Un quartier innommable, personne n’organise de cinĂ©-club ou de festival avec le cinĂ©ma invisible d’AW. N’existe pas.

Les coups de feu lui ont brisĂ© le corps et l’ñme, qui se trouvent dans sa vĂ©sicule biliaire, et de lĂ  est nĂ©e l’idĂ©e d’enregistrer, de dicter et de corriger ses journaux. Mannequin de dĂ©filĂ©, auteur de magazine, homme d’affaires prospĂšre, champion de la renommĂ©e et de l’immortalitĂ©. Ce doc netflixerial qu’il aurait aimĂ© ou aimera (il Ă©tait si maigre qu’il a peut-ĂȘtre atteint une certaine immortalitĂ© en dehors de la rĂ©incarnation quotidienne). La folie de la civilisation qui nous dĂ©truit (et que j’aimais ou n’aimais pas tant il y a dix minutes alors qu’elle ne fonctionnait qu’1% mieux), est toute condensĂ©e, repliĂ©e comme une protĂ©ine dans la vie d’Andy Warhol. Qui sert aussi, vaguement, Ă  distance, Ă  voir son Ă©poque, qui est l’embryon criminel du nĂŽtre, ou du nĂŽtre. C’est notre prĂ©histoire qui continue de nous ronger dans des insomnies irrĂ©mĂ©diables, que nous ne pouvons pas rentabiliser. Il s’est proclamĂ© asexuĂ© parce qu’on ne pouvait pas ĂȘtre gay. Dans les annĂ©es trĂšs dures, les soirĂ©es les plus folles, les bidonvilles infĂąmes des hommes forts et du sexe aveugle. Lorsque cela est devenu populaire, le SIDA est apparu et des centaines de personnes ont commencĂ© Ă  mourir, un flĂ©au biblique, une terreur qui est dans leur derniers soupers. Les peintures sur la guerre et la mort, les accidents et la chaise Ă©lectrique, le cĂŽtĂ© terrible et mĂ©taphysique qui accompagnait les cartes des cĂ©lĂ©britĂ©s, aujourd’hui aussi omniprĂ©sentes qu’avant les estampes des saints, sont bien traitĂ©s. Un portraitiste itinĂ©rant a Ă©tĂ© dĂ©clarĂ© Ă  50 000 $ piĂšce. Il leur a donnĂ© une immortalitĂ© accrue et accrue. Beaucoup n’en avaient pas besoin, mais peut-ĂȘtre que sans leurs cartes nous les oublierions plus vite. The Last Supper, pour le galeriste et marchand d’art dĂ©cĂ©dĂ© aprĂšs son exposition de Milan Ă  laquelle Andy s’est envolĂ© Ă  Concord. La mort l’entourait, elle le tuait pour ses amis, clients et galeristes. Dans son inaccessibilitĂ© peut-ĂȘtre inĂ©vitable, les journaux en sont le testament, je l’aime de mieux en mieux. En partie parce que personne ne l’aime ou ne l’apprĂ©cie, que ce soit en tant qu’artiste ou en tant que personne. Peut-ĂȘtre que je viens pour le dĂ©sapprendre, ou le monde et les zombies qui le parcourent ressemblent trop Ă  cette figure bien triste qui nous a quittĂ©s. La tristesse est son hĂ©ritage de rappel. L’autre idĂ©e (encore pire) qui me vient Ă  l’esprit est qu’aprĂšs avoir Ă©tĂ© abattu – les mĂ©decins ne croyaient pas qu’il survivrait – Andy Warhol, qui Ă©tait un chrĂ©tien (Ă©galement clandestin), laid et sentimental, a dĂ» penser qu’il s’était relevĂ©. Et ça continue de le faire. ~

SOURCE : Reviews News

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