À l’occasion du centiĂšme anniversaire de Judy Garland, diffusez « The Clock »

À l'occasion du centiùme anniversaire de Judy Garland, diffusez "The Clock" - The New Yorker

🍿 2022-06-10 23:15:17 – Paris/France.

La plus grande performance de Judy Garland est dans la version de 1954 de « A Star Is Born », mais son plus grand film est « The Clock » (diffusĂ© sur plusieurs plateformes, y compris Criterion Channel), de 1945, qui a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© par son futur ĂȘtre mari, Vincente Minnelli. C’est le film dans lequel Minnelli a d’abord libĂ©rĂ© toute la force de son talent artistique, et il l’a fait grĂące au pouvoir dramatique de Garland. Garland est nĂ©e le 10 juin 1922 et « The Clock », tournĂ© Ă  la fin de 1944, alors que Garland avait vingt-deux ans, est le premier film dans lequel elle a jouĂ© mais n’a pas chantĂ©. C’est strictement un drame romantique, et son drame est enracinĂ© dans l’histoire primordiale du moment historique, la Seconde Guerre mondiale. La grandeur de « The Clock » s’étend dans de nombreuses dimensions : comme un film de la vie sur le front intĂ©rieur et dans le service militaire ; comme un film de New York ; et comme l’une des romances les plus ravissantes, les plus tendres et, en fait, les plus Ă©rotiques publiĂ©es par un studio hollywoodien de l’époque classique.

La perspicacitĂ© et l’influence de Garland sont Ă  la base mĂȘme du film. Elle avait fait pression sur ses patrons Ă  la MGM pour un rĂŽle dramatique et non chantant, et « The Clock » est entrĂ© en production sous la direction de Fred Zinnemann, un Ă©migrĂ© juif autrichien qui Ă©tait en quelque sorte un spĂ©cialiste des drames sociaux-rĂ©alistes. Garland n’était pas satisfait de l’avancement du tournage et a persuadĂ© le producteur du film, Arthur Freed (le principal superviseur des comĂ©dies musicales du studio ainsi qu’un parolier de premier plan, dont les crĂ©dits incluent la chanson « Singin ‘in the Rain »), de remplacer Zinnemann par Minnelli. Elle avait dĂ©jĂ  travaillĂ© avec Minnelli pour la comĂ©die musicale « Meet Me in St. Louis », et il Ă©tait aussi son partenaire amoureux. (Ils se sont mariĂ©s en juin 1945.) Le choix s’est avĂ©rĂ© inspirĂ©. Minnelli et Garland partagent un lien Ă©motionnel et artistique qui a suscitĂ© sa performance librement expressive et son talent artistique distinctif. S’il Ă©tait un styliste cinĂ©matographique exquis, ses mĂ©thodes dĂ©coratives visent une sorte de rĂ©alisme qui lui est propre. « The Clock » offre un Ă©cheveau ininterrompu de performances poignantes, acidulĂ©es et sensibles dans une dĂ©monstration de virtuositĂ© de rĂ©alisateur qui Ă©tait rare Ă  Hollywood ou, d’ailleurs, n’importe oĂč. Loin d’ĂȘtre un simple exercice de style visuel, la mise en scĂšne de Minnelli incarne une large vision philosophique du monde et une ardente intimitĂ© Ă©motionnelle.

Garland joue Alice Maybery, une secrĂ©taire qui vit Ă  New York depuis trois ans. Un dimanche aprĂšs-midi, alors qu’elle traverse Penn Station – une grande salle aux allures de cathĂ©drale qui a Ă©tĂ© fermĂ©e en 1963 puis dĂ©molie – elle trĂ©buche sur la jambe tendue par inadvertance du caporal Joe Allen (Robert Walker), qui vient de commencer une quarantaine congĂ© de huit heures, aprĂšs quoi il partira pour l’outre-mer. Joe, qui vient d’une petite ville de l’Indiana, n’a jamais mis les pieds Ă  New York auparavant, et submergĂ© par son premier aperçu de la ville, demande Ă  Alice de lui faire visiter. Ce qui commence, pour elle, comme un devoir rĂ©ticent et difficile s’épanouit rapidement en une connexion mutuelle chaleureuse et une romance Ă  bout de souffle.

Il faut une ville pour rĂ©unir un couple de jeunes amoureux. Le film est construit autour d’un mĂ©canisme Rube Goldberg-esque de connexions fortuites impliquant une sĂ©rie de rencontres fortuites avec des Ă©trangers qui jouent des rĂŽles importants ou petits dans la vie du couple alors que les liens de la romance se resserrent et qu’ils se prĂ©cipitent vers un mariage en temps de guerre. Apparemment, Minnelli lui-mĂȘme a modifiĂ© le scĂ©nario pour qu’il s’ouvre sur une multitude de personnages fortuits, des inconnus que Joe croise, de l’un Ă  l’autre, avant de tomber sur Alice (ou vice versa) : un cordonnier fermant boutique, un chef d’orchestre sur le haut d’un bus Ă  impĂ©riale, les enfants dans le parc et le musĂ©e, les serveurs des restaurants ou les nombreux passants qui s’immiscent au hasard des moments personnels et conduisent le couple dans des silences gĂȘnĂ©s, un laitier qui emmĂšne le couple sur une joyeuse mais sĂ©rieuse aventure nocturne, la chaĂźne des fonctionnaires dont les tournĂ©es quotidiennes et les efforts exceptionnels sont essentiels Ă  l’union ultime du couple.

Dans une carriĂšre de rĂ©alisateur qui s’est dĂ©roulĂ©e de 1942 Ă  1976, Minnelli Ă©tait le poĂšte des institutions, un prĂ©curseur dans la fiction de Frederick Wiseman, dramatisant le fonctionnement interne des thĂ©Ăątres, des Ă©coles, des familles, d’un hĂŽpital psychiatrique, de l’Ouest amĂ©ricain et d’Hollywood lui-mĂȘme. Dans « The Clock », Minnelli s’attaque Ă  l’institution majestueuse et puissante de la ville et dĂ©voile son fonctionnement interne avec un sentiment d’émerveillement. Les interconnexions dĂ©licates d’apparentes coĂŻncidences, le sens rĂ©sumĂ© de simples pratiques, virent au mĂ©taphysique et rehaussent chaque moment banal d’un air de destin. (MĂȘme le garde-temps du titre est Ă  la fois un vĂ©ritable monument new-yorkais – celui de l’hĂŽtel Astor (dĂ©moli en 1967), oĂč Alice dit Ă  Joe de la rencontrer ce soir-lĂ  – et un mĂ©taphorique, dĂ©vorant le bref et prĂ©cieux temps avant Le dĂ©part de Joe.) La vision urbaine du film est d’autant plus frappante par son artifice essentiel : il a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© en studio, sur des dĂ©cors colossaux, impliquant des rĂ©troprojections et d’énormes peintures hyperrĂ©alistes qui servaient de dĂ©cors. Minnelli amĂšne la gare, l’hĂŽtel, le parc, les rues, les Ă©glises, les appartements et mĂȘme les couloirs et les bureaux de l’hĂŽtel de ville et les dĂ©dales des bureaux du quartier des affaires du centre-ville Ă  la vie cinĂ©matographique avec une vivacitĂ© en synergie avec les passions des gens qui les traversent et dĂ©pendent d’eux.

Minnelli est le plus cĂ©lĂšbre pour ses comĂ©dies musicales, bien que je considĂšre ses drames et comĂ©dies non musicales comme ses plus grandes rĂ©alisations. Dans « The Clock », il donne au drame une splendeur chorĂ©graphique musicale, Ă  grande Ă©chelle, comme dans la camĂ©ra itinĂ©rante au milieu de l’agitation de Penn Station, et dans une scĂšne de mĂ©tro Ă©laborĂ©e qui est d’autant plus puissante pour son mĂ©lange de quasi- l’exactitude documentaire et la terreur trĂ©pidante de la sĂ©paration et de la perte dans la marĂ©e montante de la foule. L’ironie quasi ratĂ©e de ces coĂŻncidences donne au film une verve frĂ©nĂ©tique et tragi-comique. Plusieurs des moments les plus mĂ©morables du film appartiennent Ă  des figurants, comme une paire d’hommes de l’assainissement qui, par leur posture uniquement, transmettent de maniĂšre vivante – grĂące Ă  la prĂ©cision astucieuse du cadrage aĂ©rien – leur Ă©tonnement de voir un soldat en uniforme et une femme en costume du soir livrant du lait avant le lever du soleil. Minnelli remplit le film de ces plans en plongĂ©e, scrutant Alice et Joe, que ce soit en panoramique ou en trĂšs gros plan, comme s’il les enracinait dans les rues et la foule de la ville. Au cours d’une scĂšne du couple partageant une effusion silencieuse mais puissante de dĂ©votion spirituelle sur le banc d’une Ă©glise, Minnelli dĂ©ploie un sacristain, passant silencieusement entre la camĂ©ra et le couple, pour effacer Garland et Walker Ă  un moment d’amour sanctifiĂ© qui dĂ©passe la possibilitĂ© qu’elle soit jouĂ©e et, ainsi, est simplement suggĂ©rĂ©e Ă  l’imagination des tĂ©lĂ©spectateurs.

Mais, bien sĂ»r, le centre du film, son moteur mĂȘme, est Garland. Elle investit Alice d’un mĂ©lange de dĂ©termination et de mĂ©fiance, de solitude lasse et d’énergie refoulĂ©e. Elle construit le rĂŽle avec des gestes gravĂ©s chorĂ©graphiquement et des inflexions vocales qui, avec leur rythme et leur hauteur et leurs accents, l’espace et le silence de la musique, sont elles-mĂȘmes une sorte de chant. Le film est rempli de ses touches infinitĂ©simales mais puissantes, comme dans la combinaison du geste et de la cadence lorsqu’elle s’exhibe, Ă  sa colocataire Helen (Ruth Brady), un cadeau de Joe. Et Minnelli est clairement consciente de la force de sa performance, crĂ©ant de longues prises qui servent comme une sorte de proscenium ainsi que des gros plans urgents qui Ă©clatent avec sa puissance tremblante.

Avant tout, « The Clock » est un film d’intimitĂ©, nulle part plus que dans une sĂ©quence que je considĂšre comme l’une des plus grandes jamais tournĂ©es. C’est une scĂšne nocturne dans un parc, oĂč Alice et Joe reconnaissent d’abord, l’un Ă  l’autre et, apparemment, Ă  eux-mĂȘmes, qu’ils sont amoureux. Minnelli crĂ©e une sĂ©rie Ă©tendue et complexe d’images d’immobilitĂ© furieuse et de manƓuvres gracieuses, presque ballĂ©tiques, jusqu’à ce que les amants convergent et s’embrassent, sous la lueur des lampadaires, dans une sĂ©rie assortie de certains des gros plans les plus extatiques que j’aie jamais vus. Au moment de la passion la plus fervente, le sourcil droit de Garland se contracte, et ce tremblement – amplifiĂ© par l’examen attentif de Minnelli – rĂ©sonne visuellement comme une vague dĂ©ferlante de dĂ©sir incontrĂŽlable. « The Clock » ressemble Ă  la chose la plus proche d’un documentaire Ă©rotique qu’Hollywood pouvait offrir Ă  l’époque du code Hays ; le fait qu’il ait Ă©tĂ© publiĂ© sans contestation suggĂšre l’insignifiance et la faiblesse du code, et, plus encore, des rĂ©alisateurs qui ont pris ses diktats comme des contraintes Ă  leur art.

En tant que Joe, Walker a une intensitĂ© presque campante qui capture la peur inexprimable des consĂ©quences de la guerre Ă  la racine du rĂŽle – et que le scĂ©nario lui-mĂȘme, de Robert Nathan et Joseph Schrank, attrape. Joe a une envie irrĂ©pressible de parler; il raconte Ă  Alice ses rĂȘves et ses ambitions, sa vie dans l’Indiana, ses souvenirs d’enfance. C’est comme s’il tĂ©lĂ©chargeait sa mĂ©moire sur un Ă©tranger pour qu’il la garde, au cas oĂč il ne reviendrait pas. Le soupçon de l’hĂ©ritage des mariages en temps de guerre – des enfants pour perpĂ©tuer la lignĂ©e d’hommes qui ne survivent pas Ă  la bataille, d’enfants sans pĂšre et de jeunes veuves – hante l’action dĂšs le dĂ©but. « The Clock » est un film sur la construction sociale de la vie privĂ©e, de l’amour et de la perte, du sexe et de la mort – d’une beautĂ© ineffable et de son lien inexorable avec l’horreur. Sa vision du cinĂ©ma comme incarnation vivante d’un moment crucial de l’histoire est elle-mĂȘme historique. ♩

SOURCE : Reviews News

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